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    Extrait d’une 5ème nouvelle... 

     

    « L’Automne est une Belle Saison pour Mourir »

     

    * Chap. 3 * Libération *

      

           Trop jeune pour aller à l’école, puis retenu cantonné à la maison par crainte de représailles, le jeune Edouardo a vécu les années de guerre dans l’insouciance, doucement bercé sous le regard de sa mère, et dans les souvenirs paternels d’une Espagne meurtrie. Les guerres qu’elles fussent espagnoles ou mondiale n’étaient que des jeux de petits soldats pour les grands.

               

          Par un jour de bonnes œuvres paroissiales, Edouardo avait récupéré trois soldats de plomb. Des morts, il n’en avait jamais vu ! Pourtant sur les marches de l’escalier de la maison, il se réinventait avec ses soldats les récits de combats entendus avec son père grâce au poste TSF du bar « El Tap » place de la Mairie. Edouardo y écoutait les nouvelles sagement assis bien droit sur sa chaise, mais gardait ses distances. L’œil vert inquisiteur du poste TSF lui foutait une frousse monstre, comme si le diable lui-même allait en sortir et lui bondir dessus ! La place de la Mairie était le plus loin où il avait été dans le village. Seul, il n’était pas autorisé à s’aventurer au-delà de la rue des Figuiers et la voisine rue des Escaliers. Les deux étaient trop étroites pour y laisser passer une quelconque voiture ; le danger selon Pepillo venant moins d’un éventuel accident que d’une éventuelle rafle avec mise en hébergement pour « Retirada ».

           Le départ prolongé de son père, devenu comme il lui avait confié « soldat des montagnes », sonna la fin de l’insouciance et la réduction supplémentaire du terrain de jeu d’Edouardo. Jusqu’à ses huit ans, le gamin dut se contenter des six marches de l’escalier de la maison pour tout territoire autorisé. Maria devenue sombre ne parlait plus qu’en dehors des brèves directives matérielles. Il effaçait alors peu à peu de sa mémoire les bras affectueux et les tendres baisers ; laissant place aux seuls « ¡Lava tus manos ! », « ¡Resto tranquilo ! », « ¡A la cama ! » (3)… Les seules sorties se cantonnaient au lavoir de la rue des Clous une fois par semaine, et l’épicerie de la rue Sainte-Madeleine quand celle-ci avait été approvisionnée. Quand ils n’allaient pas courir le village, les autres gosses de la rue, bien plus âgés qu’Edouardo, se mêlaient à ses jeux. Edouardo découvrit les billes, les osselets, apprit le catalan et quelques mots de français, sans doute pas ceux de haute littérature, des jurons le plus souvent.

     

         Un jour, en début de soirée arriva un inconnu, il avait salué Edouardo en frottant amicalement de sa main le dessus de la tête accompagné d’un « ègaille » qu’il n’avait pas compris. Il parlait peu, toujours en français, mais avec ce drôle d’accent chantant et bien moins rocailleux que celui des gens du village. À la surprise d’Edouardo, l’homme fut aussitôt accueilli par Maria avec un sourire. Mack restait sans sortir de la maison, Edouardo lui demanda :

    -     « Toi aussi t’es puni ?

    -     En quelque sorte… » avait-il simplement répondu.

     

         Au troisième matin, il avait disparu. Questionnée à son sujet, sa mère répondait que les histoires de grandes personnes ne concernaient pas les enfants. Pourtant plusieurs mois après, toujours le soir tard ou au milieu de la nuit, Mack était de nouveau là quelques jours, et repartait… Ces visites impromptues intriguaient Edouardo. Les copains de la rue avaient des explications toutes trouvées :

     

    -     « C’est un espion américain j’te dis !

    -     Ouais même qu’il va en arriver plein d’autres !

    -     Comment tu sais ? questionnait Edouardo incrédule

    -    Mon père l’a dit l’aut’ soir… ils vont venir en foutre plein la gueule aux boches !

    -     Ouais même qu’ils ont des mitraillettes !

    -     Et des chars aussi !

    -     Ouais même que ça s’ra bien fait pour les fridolins !

    -     Fridolins ?

    -     Les allemands quoi… j’te dis qu’ce mec c’est un espion !

    -     Ouais même qu’il va faire exploser les ponts, ils s’ront coincés et après les résistants y vont les écrabouiller !

    -     Y a pas de fridolins chez moi ! protestait Edouardo

    -     Bin non, c’est la planque à ton amerloc’ pardi ! »

     

     

        Le mystère « Mack » était enfin levé, c’était donc un espion américain venu pour écrabouiller les fridolins… Cela n’expliquait pas ce qu’il faisait à la maison… Et son père qui ne rentrait pas… peut-être que Mack avait des nouvelles ? Les allers et venues de Mack s’accéléraient… courtes, mais de plus en plus fréquentes…

     

     

     

    Anna – 23 Juin 2013 © 

    N5 – Total 50 pages - Copyright numéro 00052576 

     

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