• * L'ENCRIER * « Hep Taxi ! »

     

    * L'ENCRIER * « Hep Taxi ! »

     

     

     

           Paul est chauffeur de taxi depuis plus de vingt ans. Tous les vendredis en début de soirée, il se poste à Charles-de-Gaulle au Terminal E des vols internationaux, y a toujours un homme d’affaires hyper pressé qui lui saute sur la portière. La recette de la soirée est assurée. Là ? Com’ d’hab’, ça n’a pas loupé ! Brusquement comme tombés tout droit des nuages, quatre mecs costard-cravate-zPhone, tous accrochés à la même poignée de sa merco noire !

    – « Ouh la... doucement les gars ! Un seul à la fois... C’était qui le premier ?... » (Tous les quatre bien sûr... un grand classique...)

    – « Mooiii ! lance la cravate rouge, et j’ai mon TGV Gare de Lyon dans moins d’une heure !

    – Je vous demande pardon ! se permet le complet gris... C’était moi !

    – Ben voyons, vous ne manquez pas de toupet ! s’esclaffe le zPhone dégarni. Et puis quoi encore ?

    – Non, non, permettez... C’était moi, et j’ai une carte d’invalidité, j’ai la priorité ! finit par dire le vieux papillon noir. De plus, je note un manque de véhicules disponibles... Inadmissible à cette heure d’affluence !

    – STOOPPP !! Y’a la grève... Alors, tassez-vous à l’arrière je vous prends tous les quatre... Ça ira comme ça ? » (Les quatre costards restent cois ? Pas le choix... Parfait !)

           

       Allez zou, tout le monde à bord ! Paul demande les destinations et les urgences... Forcément, les quatre sont pressés. (On s’en serait douté !). Le TGV est prioritaire. La merco démarre sur les chapeaux de roues. Bretelles de sortie. Direction l’A3. Évite la blonde à bord d’une Chevrons rouge. Double le vieux traînard dans sa Lion bleue... À l’arrière, les costards se cramponnent. (Tassés comme ils étaient, c’était pas la peine !). Bobigny... Et l’éternel bouchon à Bagnolet...

    – « Pas de panique ! Un p’tit coup à droite, hop ! On longe le périph’ encombré, et hop ! Le quai de Bercy et re-hop ! On s’ra à la gare de Lyon dans dix minutes max’ ! » rassure Paul.

    Voilà pour lui, ça, c’est fait ! Déjà la cravate rouge court à moitié vomissant vers son TGV.

     

    – « C’est à qui le tour ?... » demande Paul qui ne comprend rien aux réponses des trois autres, bafouillant tous en même temps dans leur estomac retourné.

              Gare de Lyon, toujours pas l’ombre d’un taxi... Les esprits s’échauffent. Le papillon noir hurle « 47, rue de Passy ! », arrachant la manche du complet gris qui ressaute sur la banquette. La merco repart. À l’arrière, le dégarni beugle plus fort dans son téléphone : « Je ne vous entends pas ! Répétez !... ». Le tunnel à droite, un feu rouge grillé et le Quai de la Râpée. Direction le 16e. « Je vous dis que je ne vous entends pas ! ». Agacé, l’in-complet gris arrache oreille et zPhone. Ouvre la fenêtre, et balance le tout ! Et hop-là dans la Seine ! Le dégarni en sang braille de plus belle : « J’étais en ligne, moi Môssieu ! ». Le papillon noir aboie qu’il est cardiaque. Le zPhone lui balance une mornifle. Le postiche du vieux atterrit dans la bouche hurlante de l’in-complet gris. Papillon perd une dent, qui se plante dans le cuir du siège avant...

     

           Entre-temps, Paul reçoit un appel dans l’oreillette de son BPhone :

    – « Oui mamour... Comment ? Oui je n’oublie pas, je passerai te chercher. Les cris ? Non rien, des clients à l’arrière... Attends, j’ai un double appel... J’te r’prends après... Allo ? Babeth ?!... J’étais justement avec ta mère qui... Quoi ? Maintenant ?? Bouge pas j’arrive !!! »

              (Re) Brusquement, au milieu des Champs Élysées, Paul pile et tire le frein à main. Youhouu, la merco fait un superbe demi-tour. Évite cinq Chinois (ou dix ?), un appareil photo sur le terre-plein central, une poussette d’enfant, trois jeunes partant en boîte. Taille un short à deux flics en gilets fluo devant le Grand-Palais. Ratatine le vieux clebs d’un jeune couple (Ou était-ce l’inverse ? Trop rapide. Pas eu le temps de voir). Le taxi fonce. Tombeau ouvert. Sens opposé. Direction Charenton. (Quoi ? Les trois costards restent cois ? Pas le choix... Parfait... Silence dans l’habitacle !)

     

              Au 12 de la Rue de la Flûte en chantier (Mince, encore des travaux !). Grimpe à cheval sur le trottoir. La portière avant s’ouvre. Une jeune femme tout en ventre hurle. Elle gémit, peine à s’asseoir. La voiture repart... Cinq minutes, les lumières, la barrière, les urgences... Ouf, on y est ! Les quatre hommes l’accompagnent. Salle de travail... + ... + ... (Faut le temps eh... parfois c’est long)... Chacun fait les cent pas dans le couloir... (Ça doit bien en faire au moins quatre cents en tout...). Enfin l’annonce tant attendue : « C’est un garçon ! ». Paul saute de joie : « J’suis Papy ! J’suis Papy ! ». Le papillon fond en larmes, l’in-complet congratule le zPhone.

     

                 Tout est bien qui finit bien... (Non ? Ah... Et ensuite me direz-vous ?)

               Bah ensuite... Les quatre bonshommes vont féliciter la maman dans sa chambre, qui leur présente son lardon... Paul s’écrie soudain :

    – « Au fait ! Va-lui falloir un parrain à ce p’tit gars !...

    – Za zera moi ! zozote dent en moins.

    – Comment ? Que dites-vous ? Ah permettez Môssieu, rétorque l’unique oreille.

          STOOPPP ! Doucement les gars ! Un seul suffira !... C’était qui le premier ?... ».

     

     

     

    Anna – Octobre 2013

     

     

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