• * L'ENCRIER * « L'Acier et La Soie » - Extrait

     

    * L'ENCRIER * « L'Acier et La Soie » - Extrait

     

    Noël à bord…

     

    « …

    Lisette, Lili belle-de-nuit, proposa de faire le réveillon de Noël sur Le Lamantin. Chacun apporterait son panier. Bougies et guirlandes faites de chutes de crépon coloré égaieraient le salon flottant. À la nuit, Agathe arriva avec un grand plat de poularde encore chaude, suivie de William, puis de Gaspard et Toine du Nivernais qui attendaient un char­gement de coke pour Auxerre. Matthijs, surnommé « Matt’ Maous », son épouse Florentine et leurs deux galapiats, arri­vés des Flandres trois jours avant, étaient déjà là. Victorine et Pauline, également conviées, viendraient dès leur service terminé. Chacun déballa ses victuailles à la communauté, soupe de navets et pois cassés, tourte au lard, pâtés de tête à l’ail, pommes de terre. Les mignards se précipitèrent aussitôt sur les olibollens, beignets au sucre préparés par leur mère, et la petite poignée de berlingots multicolores achetée la veille par Lili dans la rue du Faubourg Montmartre à l’enseigne À la mère de famille, une fabrique de confitures et confiseries.

    — C’est pas tous les jours fête ! Hein ?

    Les bras levés, Vicky fit une entrée éblouissante, exhibant deux bouteilles de sauteuse, kidnappées par Gambette. Il y avait également Charlotte, qu’elles n’avaient pas revue depuis la scène libertine à Montmartre. Et on porta des brindes à l’un, puis aux autres. Ça riait à tue-tête, chantait à plus soif et dansait jusqu’à l’extinction des voix et des derniers lumignons. Ça s’embruma l’esprit pour décapiter la mouise agglutinée, le temps d’un p’tit Jésus, auquel personne ne croyait.

    Frigidité matinale, une pellicule blanche masquait le fleuve. Les trois hublots du Lamantin ressemblaient à des flocons givrés. Dans des vieux relents de sueurs, d’alcools forts et de restes bâfrés, l’intérieur du bateau dégageait sa propre chaleur.

     

    Les corps s’étaient endormis tels quels, tombant un à un de fatigue ou d’ivresse. Florentine assise sur une couverture jetée au sol, les jambes tendues, serrait son aîné dans les bras. Le plus jeune, le pouce encore accroché à sa bouche entrou­verte, blottissait sa tête sur les genoux de sa mère. Matthijs et Gaspard avachis, le front ou la joue sur un bras à même la carante, entre les carafes vides et les gamelles débarbouil­lées jusqu’à la fonte. Agathe s’était allongée sur le banc après avoir trop dansé. Près du poêle somnolant, la vieille carcasse de William brondissait élégamment à chaque courant nasal. Même son sommeil avait cette touche de coquetterie britan­nique. Kosto avait réussi à s’incruster en boule, entre Vicky et Pauline serrées sur une paillasse dans le coin de la pièce. Bien avant, Lili avait rejoint son carré. Nue, sa jambe gauche ressortait par-dessus les couvertures et chevauchait à moitié le Toine, qui ronflait comme la chaudière d’un tjalk, une fesse à l’air et la chemise ouverte sur son torse velu.

     

    … »

     

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