• * L'ENCRIER * « Cramponner l’Aussière... »

     

    « Cramponner l’Aussière... »

    Huile sur toile - Thomas SOMERSCALES

     

               Le brigantin sort à peine du vide, du néant... Pas de cette immobilité où les vents s’absentent de la misaine et du grand hunier, non ! On parle d’un cœur à corps sur une mer amère sans amer condamnant toute manœuvre ribaude, d’un combat acharné entre la carène et les lames bleues d’acier menaçant la ligne de flottaison même pour un bateau lège... Pas d’une simple algarade, non ! On parle d’une déclaration de guerre par la houle grondante et déchaînée escomptant engloutir l’embarcation en une goulée dans les noires écumes de ses nuits abyssales. Les rafales déchiquettent les toiles, les mâts et leurs vergues se tordent de douleur forçant le choix de ferler ou border.

     

                Malgré les premières avaries, il faut maintenir le navire à la course, embraquer. Entre sextant, compas et sablier trouver et forcer le cap. Le bosco doit encore décoder les énigmes, reliefs terrestres et courbes isobaths des cartes marines, rester sourd aux chants des sirènes et déjouer les pièges des récifs étoilés crevant le ventre. Alors les yeux vissés sur l’horizon, rassérénant l’équipage hagard sur le tillac, il s’oblige à naviguer au près, à la bouline, évitant toute flibuste. La lutte demeure serrée et les bouillons dangereux. Des mille restes à parcourir avant de cramponner l’aussière, mouiller et pouvoir radouber.

     

                Le fébrile équipage attend chaque nuit l’heure où la vague se fait prochaine, celle qui se dressera comme un mur brocardant le grand foc ou le beaupré pourtant érigé comme un index sévère admonestant toujours les flots rugissants. Celle-là, l’ultime, qui engloutira le bâtiment du safran au pavillon avec âmes et tonneaux, le jetant dans les tréfonds comme une poignée de ramilles. Le capitaine se doit de garder la foi en l’étrave qui devra pourfendre les sombres eaux vrombissantes. Dans l’obscurité, la proue saura faire bonne figure devant de tels bouillonnements. Passer chaque borgnon sans fanal ni encombre. L’épreuve sera plus terrible que le jeu du couteau entre ses doigts, le bosco le sait.

     

                Et la houle frappe encore d’estoc et de taille, perçant la carène, là plus haut sur le bâbord.

     

     

                Puis ce fut tel un ouragan, croulant sous une cabale d’écumeuses cavales, le brigantin plongeait entièrement dans les abîmes comme pour être projeté plus vivement encore contre des murs d’eau.

     

    Anna  – 23 Juillet 2013 ©

     

    Écrit sur le banc d’un parc – Je ne sais ce que deviendra ce morceau d’histoire...

     

     

     

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