• * L'ENCRIER * « Dernier Vol pour l’Inframonde » - 6/8

     

    * L'ENCRIER * « Dernier Vol pour l’Inframonde » - 6/8

     

     

     

           Paris, 4 h – Réveillé en sursaut au petit matin par les gendarmes qui avaient trouvé son numéro de portable collé entre le permis de conduire d’Agnès et les papiers de la moto, « à prévenir en cas d’urgence »... moto, accident, hôpital... incompréhension, hébétude, panique... Marc se raccrochât désespérément à la dernière phrase de son interlocuteur : « Rassurez-vous, elle est en vie ». Déjà en route pour Orange, reprenant le trajet pris dix heures plus tôt par Agnès, il se répétait inlassablement la phrase « Elle est en vie » en litanie, comme pour ne pas devenir fou. Dans l’aube naissante, son ignorance grandissait. Qu’allait-elle faire à Orange ? Il ne se souvenait pas qu’elle lui ait parlé d’un quelconque déplacement dans le sud de la France. Et cette fichue moto dont elle ne pouvait se séparer ! Qui était ce mec en Mercedes ? Et elle faisait quoi ?... La course ? Pfff, faire la course, ça lui correspondait bien ! Agnès roulait toujours beaucoup trop vite, il lui avait déjà gentiment suggéré d’avoir la main plus légère sur la poignée des gaz, tout en sachant qu’il ne pouvait rien imposer et qu’elle n’en ferait finalement qu’à sa tête. Après plus de six cents kilomètres, et six heures de questionnement en boucle, Marc arriva enfin après un voyage interminable.

     

           Hôpital d’Orange, 10 h 30 – Dès son arrivée aux urgences, Marc reste planté au milieu de l’entrée, hébété, des blouses blanches, des vertes... ça court partout et personne ne fait vraiment attention à lui :

    -        « Je... euh... je viens pour Agnès... Agnès Richard... »

    Il finit par accrocher le regard d’une femme en blouse blanche qui lui dit, sans ménagement...

    -        « Ah oui, la fille en moto... c’est grave, monsieur, très grave...

    -        Mais euh... On m’a dit qu’elle était en vie. Elle va s’en sortir... n’est-ce pas ? »

    ... Silence... la scène est figée...

    -        « S’il vous plait... dites-moi que...

    -        Elle est dans le coma... on a fait le maximum... » 

           Et déjà la blouse blanche disparaît derrière une porte « Personnel only – Ne pas dépasser ». Le maximum, le maximum, le maximum... Ce mot vrille de son cerveau jusqu’à ses tripes. Le maximum de quoi ? Le maximum jusqu’où ? Elle ne peut pas... il a dit qu’elle était en vie... Il faut qu’il sorte, il étouffe, il faut qu’il respire... Déjà une autre blouse blanche se tient devant lui, et lui tend deux grands sacs en papier kraft :

    -        « Ses affaires personnelles, tenez... »

           Marc regarde les sacs, à l’intérieur des lambeaux de vêtements... du sang... du sang... Il est comme anesthésié, incapable du moindre mouvement, le cauchemar pouvait commencer, et il finit par demander :

    -        « Je... je veux... je peux la voir... ? »

           La fille accompagne Marc dans la chambre d’Agnès, « Neuro-réanimation – Soins intensifs », rien que la lecture des noms sur le panneau lui glace le sang. En entrant, Marc eut une vision terrible, un choc indescriptible, comme si on avait regroupé des morceaux du corps d’Agnès dans un même lit. Le « Rassurez-vous, elle est en vie » tourne encore dans sa tête... mais non... ce n’est pas ça la vie... Il ne la reconnaissait pas sous tant d’appareillages d’assistance respiratoire et de circulation sanguine, de perfusions, de contusions violacées... Et ces bips réguliers qui vous serrent le cœur à chaque battement... Il y a une grosse différence entre « être en vie » et « être en vie »... ou plutôt être artificiellement en vie. Il était totalement désemparé devant cette pauvre petite chose fragmentée dont les morceaux n’auraient été reliés que par des tuyaux, et ne comprenait toujours pas comment elle avait pu se trouver à cet endroit, prise dans cet accident sordide... morbide...

           Avant midi, le neurochirurgien passa voir Agnès dans sa chambre.

    -        « On a fait ce qu’on a pu, mais il faut vous préparer au pire. »

    Puis, il énumère... le diagnostic initial... sinistre et long comme un jour sans fin

    -        « Traumatisme crânien grave

    -        Traumatisme maxillo-facial grave Le Fort II

    -        Contusion pulmonaire due à une fracture du sternum

    -        Fracture complexe du bras droit avec dislocation de l’épaule

    -        Fracture complexe du bassin avec dislocation de la hanche

    -        Traumatisme abdominal et défaillance multi viscérale...

    -        Fracture de D2

    -        Coma stade II » 

    Et ça, ce n’est que le diagnostic initial, à son arrivée... Commence alors l’interminable angoisse de l’attente... les heures qui semblent figées... la peur au ventre... Coma stade II, cela signifiait qu’Agnès réagissait à certains endroits de son corps aux stimuli douloureux, de toutes les façons en dehors des zones situées sous la dorsale abîmée.

           Et les heures se transforment en jours... Bien qu’il soit très difficile même pour les médecins réanimateurs d’évaluer l’état de conscience d’Agnès, Marc attacha beaucoup d’importance à venir tous les jours pour lui parler. Comme pour qu’elle n’oublie rien de leur histoire, d’une voix douce et bienveillante, il lui racontait leur rencontre, la timidité qu’il avait éprouvée, le plaisir ressenti dès leurs premiers échanges. 

           Et les jours en semaines... Son corps tenait le coup.

           Et les semaines en mois... Lentement, les organes se réparèrent, les fractures se consolidèrent, l’œdème et les hématomes avaient presque disparu, le trauma facial s’estompait après l’intervention, même si son visage n’était plus tout à fait le même. À sept semaines, les médecins avaient fait deux tentatives pour arrêter la sédation, ça se passait mal à chaque fois. Mais la troisième fut la bonne... Elle était désormais dans son propre coma. Espoir retrouvé... Alors il se pouvait qu’elle puisse se réveiller... 

    -        « S’il te plait, si tu dois partir... pars. Mais si tu dois rester... reviens ! »

     

           Le transport sanitaire pour rapatrier Agnès sur Paris était désormais possible, mais en toute délicatesse. Cela sera plus facile pour Marc de jongler entre l’hôpital et son boulot qu’il avait délaissé depuis ces derniers mois.

     

     

     

     

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