• * L'ENCRIER * « Dernier Vol pour l’Inframonde » - 7/8

     

    * L'ENCRIER * « Dernier Vol pour l’Inframonde » - 7/8

     

     

           Hôpital Paris, 13 h – Marc  reprend ses visites quotidiennes, arrive dans la nouvelle chambre d’Agnès où il a malheureusement repris l’habitude de la voir figée, sans réaction. Comme à chaque fois, il regarde la feuille de soins accrochée au pied du lit, juste pour consulter les derniers résultats du test de Glasgow.

           Soudain, il lit : « Comprends – Essaie de parler »... Marc relit cette phrase, s’en imprègne, elle l’envahit, le submerge, son cœur s’emballe... Il sonne et sonne encore pour qu’un médecin ou une infirmière arrive, quelqu’un vite ! Il leur brandit la feuille :

    -        « Qu’est-ce que ça veut dire ?

    -        Ce matin, elle a essayé de parler... alors on lui a mis un bouchon à sa trachéo et on a coupé le respirateur quelques instants pour qu’elle puisse parler... et elle a parlé !

    -        Parlé ?... Et elle a dit quoi ???

    -        Elle a dit ‘’ Bonjour ’’... et elle a dit ‘’ A – nès ’’... »

    La tête de Marc allait exploser ! Elle a parlé, elle a parlé ! Elle sait qu’il faut dire bonjour aux gens, elle sait qui elle est... C’est merveilleux, merveilleux !! Marc lui prend aussitôt la main :

    -        « Fais-moi un signe, je t’en supplie, je suis là !... N’importe quoi... »

    Mais non... cet après-midi, rien ne se produisit...

     

           Marc reprit alors ses longs monologues sur l’évolution de son état, le temps qu’il faisait, mais surtout évoquant chacune des discussions qu’ils avaient eues sur tant de sujets aussi riches les uns que les autres : leurs goûts musicaux si différents, la création artistique, la peinture, la littérature, le cinéma, les contraintes et les joies de leurs métiers respectifs, les pièces de théâtre qu’ils avaient vues, ou celles plus philosophiques sur le comportement humain :

    -        « Ma douce, t’en souviens-tu ? »

           Calmement malgré son inquiétude, il revivait lui aussi, mais à voix haute tous ces instants désormais si précieux à ses yeux, se dévoilant à lui-même l’attachement grandissant qu’il avait pour elle. Et il revenait chaque jour, la quittant à regret chaque soir en l’embrassant tendrement :

    -        « See you tomorrow my dear… I need you… »

           Le cœur serré de la voir sans réponse, il ne pouvait se résoudre à croire, égoïstement peut-être, qu’il ne pourrait éventuellement plus partager ces délicieux moments avec elle. Son étoile, qui avait su illuminer ses jours et tant de ses nuits, semblait filer éteinte vers d’autres cieux. Il regrettait déjà de n’avoir pas su lui témoigner son affection aussi intensément qu’elle l’aurait souhaitée et se reprochait de n’avoir peut-être pas réussi à lui faire comprendre le besoin impérieux qu’il éprouvait de la sentir à ses côtés. Aujourd’hui, il pouvait se l’avouer à lui-même, il lui était possible de perdre son aimée, et elle ne saurait peut-être jamais qu’il tenait à elle fabuleusement.

     

           Marc savait qu’on ne sortait pas du coma comme dans les films : le mec qui se réveille soudain au bout de plusieurs mois, voire des années, cligne des yeux, voit trouble et puis se dit : « Bon sang, mais qu’est-ce que je fais là ? ». Il savait que la réalité était tout autre, que c’était encore des jours, des semaines, des mois... Oui, des mois et des mois... pour qu’au mieux, les grognements se transforment franches paroles, pour que les propos incohérents deviennent des phrases construites, pour que la main soit capable enfin de saisir un objet... Rien n’était gagné d’avance.

           (...)

     

     

           Hôpital Paris, 12 h 30 – À mon réveil, j’essaie d’ouvrir les yeux, je suis allongée, des tuyaux sont branchés sur moi... j’entends des bips... j’ai mal à la gorge... je n’ai aucune notion du temps, tout est flou. Par contre, j’ai l’impression d’être sûre d’exister et d’être là. Progressivement, je prends conscience, je sens ma main être serrée. J’essaie de bouger les jambes... rien... Je ne peux pas parler, je suis intubée. Encore des bips... une ombre blanche... L’infirmière présente perçoit mon inquiétude me raconte ce qui s’est passé.

           Je n’ai aucune image, aucun son, aucune douleur de la réalité de l’accident. C’est comme si, au moment de la vision terrible de ce grand saut, de ce vol qui arrive, j’avais abandonné mon corps et étais entrée dans une autre réalité, une autre dimension... À force de me raconter les événements, j’ai fini par les intégrer, enfin, je crois... Il parait que je dois ma survie à l’acharnement des gars du SAMU d’Orange... Je n’ai aucun souvenir de cette matérialité des faits... Je me souviens de Paris, oui, de l’autoroute en moto et de la course avec la Mercedes ... Ah oui, Karl... mais rien de précis sur l’accident... Voilà donc après cinq minutes quelle est ma nouvelle réalité... je ne marcherais peut-être plus... Comment peut-on se représenter le « Tu ne marcheras plus... » ?... Peut-on s’imaginer une vie dans la négation ?

     

           Hôpital Paris, 13 h 30 – Je reconnais ce sourire, ce regard qui brille... il me parle... je connais cette voix comme un lointain repère... Marc est là... il semble soulagé ou excité de me voir les yeux ouverts... je l’entends, mais je ne peux pas lui répondre... il me prend la main, la serre fort, l’embrasse mille fois, me caresse tendrement les cheveux... il semble heureux... Je tente un sourire en réponse, mais je ne suis pas sûre que ce rictus lui ressemble... je baisse les paupières et les rouvre comme pour lui dire oui... je suis là... à nouveau...

          

           (...)

     

     

     

    .../...

     

     

     

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