• * L'ENCRIER * « Jour des Quatre Sorcières» - 1/10

     

    « Jour des Quatre Sorcières» * Nouvelle *

     

     Avis aux Lecteurs

      

                Au risque que vous ne lisiez jamais cette première page... une ultime recommandation... rangez vos balais dans le placard aux rêves de magies blanche ou noire... Une autre fois peut-être... Néanmoins, il existe là-bas... un monde mystérieux, celui de la Finance, où sorcières, elfes et autres farfadets noircissent leurs grimoires de formules magiques, d’ensorcellements codifiés et de multiples aphorismes délétères.

                Le « Jour des quatre Sorcières » en est un. Sous ce jargon, se cachent quatre journées particulières où quatre produits boursiers arrivent à échéance en même temps. L’ambiance est alors volatile, les désirs de profits exacerbés, chacun essayant d’œuvrer en sa faveur. Souvent, ces quatre journées sont baissières... extrêmement baissières...

                Nos quatre protagonistes brûleront-ils à leur tour sur le bûcher des « sorcières » ?

                En tournant avec vous cette première page, choisiront-ils la bourse ou la vie... ?

     

     

     

    * L'ENCRIER * « Jour des Quatre Sorcières»

     

    Chapitre 1 - Swap

    ( Déf. : Contrat d'échange entre deux parties )

     

     

           L’orage a calfaté Paris vers la fin de cet après-midi de septembre d’une étoupe d’un épais gris noir. Depuis, il pleut à verse sans discontinuer forçant le pas des parapluies et mirant les éclairages sur le macadam et les trottoirs. Elle allonge la foulée pour traverser le jardin des Tuileries. Il ne faudrait pas qu’elle soit en retard, bien qu’elle adorerait traîner dans l’odeur de la pluie sur la terre et les arbres, son père lui reprocherait son «imponctualité». Pour une fois, elle adresse une œillade à la statue équestre de Jeanne d’Arc, avant de se glisser sous les arcades protectrices de l’hôtel Regina et remonter la rue des Pyramides.

           Enfin arrivée dans l’avenue de l’Opéra, elle s’engouffre dans un bâtiment haussmannien par le portillon de l’entrée à deux vantaux de bois monstrueux :

    -   « Oh, bonsoir Mademoiselle Victoria, quel temps hein !

    -   Bonsoir Antoine, oui... ce soir, c’est la fête à la grenouille ! »

    Passée la loge du gardien, elle s’engage sous le grand porche, franchit la cour intérieure, referme un immense parapluie aux couleurs de l’Union Jack. Un agent de sécurité ouvre les portes ornées de vitraux Gruber pour la laisser pénétrer dans le hall :

    -   « Bonsoir Mademoiselle Victoria, c’est un plaisir de vous revoir. Quel sale temps !

    -   Bonsoir, et oui Max, il pleut il mouille ... »

    Elle traverse le vaste vestibule inondé en son centre d’un lustre en cristal de Bohême majestueux. Plutôt qu’emprunter l’ascenseur central, comme pour s’acclimater à nouveau à l’espace, elle choisit de monter lentement, par le côté droit, le double escalier monumental en marbre de Carrare blanc. Il est revêtu d’un épais tapis de passage rouge aux liserets or courant le long des marches. Victoria laisse sa main filer sur la reluisante rampe en laiton, astiquée tous les jours, de la rambarde en fer forgé, exécutée parait-il par Guimard lui-même. Ici, tout est sous le double signe de la grandeur et de la démesure. Arrivée au quatrième et dernier étage, tourne mécaniquement à droite et avance dans le couloir au rythme du craquement d’un vieux parquet, perceptible malgré les lourds tapis, jusqu’au bureau de son père, elle frappe à la porte :

    -   « Entrez ! ... Ah quand même !... Bonsoir Vic’, te voilà enfin, je m’inquiétais presque. Ton voyage s’est-il bien passé ? À quelle heure es-tu arrivée ?

    Son père, soixante ans à peine, grand et de carrure imposante se lève, contourne le bureau et s’approche pour l’embrasser d’un baiser furtif sur le front.

    -   Euh..., dit-elle en s’affalant dans un des fauteuils Chesterfield de cuir marron, j’ai décollé d’Heathrow à 16 h 00, et suis arrivée à Charles de Gaulle vers 18 h 15. J’ai attrapé un taxi pour poser mes valises à la maison, et... «Tadaaa»... me voilà ! »

    Pendant qu’elle parle, Victoria troque ses bottes en caoutchouc aux motifs de cerises, pour des escarpins, plus adaptés aux circonstances, sortis d’un grand sac fourre-tout.

    -   « Qu’est-ce que c’est que cet accoutrement ? En plus te voilà trempée comme une souche avec ce temps déplorable... tu aurais dû demander au chauffeur de te récupérer directement à Charles de Gaulle...

    -   C’est bon papa... je suis à peine mouillée. J’avais juste envie de traverser la Seine et renifler Paris. Ça fait du bien de rentrer un peu chez soi ! »

     

           Victoria avait passé ces cinq dernières années à la City pour finir trader chez « Bradley & Winston » qui venait de lui proposer de renouveler son contrat. Même si l’Eurostar lui permettait de rentrer autant qu’elle le voulait, l’impétueux besoin de rester H24 informée sur l’évolution des marchés l’avait forcée à rester à Londres le plus souvent possible. Elle ne revenait à Paris que pour les rares événements familiaux. Elle avait sans hésitation décliné l’offre faite par « B & W ». Dans le même temps, son père Georges Berton lui proposait un poste à Paris. Cela faisait dix ans qu’il s’était associé avec le jeune self-made-man Gordon Bradley, le même « B » que chez « B & W » à Londres, pour créer la banque de gestion de portefeuilles « Bradley & Berton » à Paris. Ce soir à partir de 21 heures, dans les salons attenants la grande salle du Conseil, un cocktail était spécialement organisé avec les administrateurs de la banque et les clients les plus importants, tous accompagnés de leurs conjoints, à l’occasion du retour de sa fille. Georges Berton souhaitait fêter la nomination de Victoria au poste de Directrice des portefeuilles marchés à courts termes. Au-delà, il nourrissait le vif espoir de la voir intégrer le conseil d’administration comme Vice-présidente de « B & B ».

     

           On frappa à nouveau à la porte du bureau... Une femme âgée de cinquante-cinq ans, habillée élégamment d’une robe d’organdi entra après y avoir été conviée. Madame Caroline Berton, née Caumont de Lorge, faisait son apparition.

    -   « Caroline, comme vous voilà charmante, ce parme rehaussé d’ivoire vous sied à ravir.

    -   Merci mon ami... Oh Vic’ ma chérie, que je suis contente de te revoir parmi nous.

    -   Bonsoir maman, papa a raison, tu es sublime dans cette robe.... » (et en baissant la voix) « Alex ne sera pas là, je suppose ? »

    -   Non, ma chérie, tu te doutes bien qu’il a d’autres engagements... ».

     

           Ancienne première danseuse à l’Opéra de Paris, elle n’avait rien perdu de sa superbe. Elle s’était reconvertie à la peinture depuis la persistance d’une douleur tibio-astragalienne gauche, une arthropathie du cou-de-pied fortement handicapante pour toute danseuse. Depuis, elle tenait une galerie rue de Seine dans le 6e arrondissement, où elle organisait souvent des vernissages pour de jeunes artistes, peu connus, tous issus de l’école Nationale Supérieure des Beaux-arts qui était à deux pas.

     

     

     

     .../...

     

     

    Pin It

    Tags Tags : , , , , , ,