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* L'ENCRIER * « Jour des Quatre Sorcières» - 10 & Fin
Chapitre 10 - Ponzi scheme
( Déf. : Montage financier frauduleux qui consiste à rémunérer les investissements des clients
essentiellement par les fonds procurés par les nouveaux entrants)
Décidé à se rendre plus disponible pour ses trois enfants, et pour les aider financièrement si besoins étaient, Georges appelle Gordon et lui confirme son désir de lui céder ses parts de « Bradley & Berton » Paris. Contrairement à son attitude datant de quelques mois, cette fois, Gordon n’a pas l’air très enthousiaste :
- « Tu n’es pas sans savoir que la faillite de Lehman Brothers met, ces derniers temps, à mal la confiance des investisseurs sur toutes les classes d’actifs. Même certains rendements supérieurs à dix pour-cent depuis plusieurs années ont dû faire face à d’importants mouvements de décollecte de leur part...
- Gordon, à mon âge, je pense pouvoir prétendre à une paisible retraite, et tu sais que tu trouveras tout le soutien nécessaire auprès des administrateurs. Paul sera un parfait président par intérim, je t’assure ! Tu n’as pas à t’inquiéter outre mesure...
- Écoute, les choses ne sont pas si faciles que ça... j’admets que cela te tienne à cœur. Bon, écoutes, je vais prendre contact au plus vite avec l’avocat pour qu’il commence à travailler sur cette cession. Mais, tu comprendras que cela va prendre un peu de temps. Et il faut que je trouve les liquidités, par les temps troublés, ce n’est pas chose aisée... Je propose que tu me retrouves à Londres dans trois semaines... euh, je dirais... Es-tu dispo le vingt mars ?
- Oui, oui, OK pour le vingt...
- Si tu peux, arrive en fin de matinée, on déjeunera ensemble.
- D’accord, à bientôt dans ce cas.
- À bientôt, bye bye !
Trois semaines plus tard, Georges monte dans l’Eurostar de 10 h 13 le cœur léger, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes : il allait enfin vivre avec Dorothée et Lou-Ann, les retrouvailles avec Victoria s’étaient plutôt bien déroulées, une reprise de contact avec Alexandre à Lausanne était programmée le mois suivant. Pour finir, Gordon reprenait ses parts de « B & B » ! Dans un peu plus de deux heures, il le retrouverait dans ses bureaux sur Bartholomew.
À peine sorti de la gare de St Pancras, Georges s’engouffre dans le métro direction « Bank station ». De nouveau à l’air libre, il s’arrête pour laisser passer des véhicules de police toute sirène hurlante remontant sur Threadneedle Street. Devant l’immeuble de « Bradley & Winston », un attroupement. Georges s’en approche, un cordon de police s’affaire à bloquer tout passage, et il n’est pas autorisé à pénétrer dans le bâtiment. Il appelle Gordon sur son mobile :
- « Hi, it’s Gordon Bradley, i’m busy right now. Let me your message, i call you back. Tank’s...
- Gordon, c’est Georges. Je ne sais pas ce qu’il se passe devant tes bureaux, il y a la police. Je ne peux pas monter, donc je t’attends devant. À tout de suite. »
De longues minutes passent sans rappel de Gordon... Georges finit par interpeller un policier, lui explique qu’il a rendez-vous avec Gordon Bradley et qu’il souhaite entrer dans l’immeuble. Celui-ci fait signe à un homme en civil, policier également de toute évidence :
- « Vous avez rendez-vous avec Monsieur Bradley ? Et vous êtes Monsieur .... ?
- Georges Berton et j’aimerai pouvoir...
- Suivez-moi... »
Le policier en civil soulève la rubalise jaune « police line do not cross ». Ils entrent à l’intérieur du bâtiment, traversent le hall et se dirigent vers les ascenseurs. Arrivés au septième, étage des bureaux de Gordon, une effervescence inhabituelle stupéfait Georges. Le policier lui fait signe de l’accompagner, puis ouvre la porte d’un bureau vide, le prie de s’asseoir et sort un petit carnet :
- « Donc, vous vous appelez...
- Georges Berton... mais euh... vous pouvez m’expliquer ce qu’il se passe ?
- Monsieur Bradley vient d’être retrouvé mort par balle dans son bureau, nous démarrons l’enquête. Vous aviez rendez-vous avec lui aujourd’hui à quel sujet ?
- Comment ça... mort... ? Non, c’est impossible ! »
Le meilleur des mondes venait de disparaître en un coup de revolver calibre 44 Magnum, six coups avec barillet à triple verrouillage et compensateur de recul... Georges Berton, lui, était juste assommé...
Quarante-cinq minutes plus tôt, une détonation avait couvert le bourdonnement habituel des bureaux, figeant les collaborateurs. Après quelques interrogations du regard, l’un d’entre eux dit « ça vient du bureau de Gordon ! », et tous s’étaient précipités. La porte du bureau était verrouillée de l’intérieur, leurs appels restaient sans réponse. Edward tenta à plusieurs reprises de l’ouvrir à coup d’épaule, en vain... la porte de verre opalisé tenait le choc. Lewis s’emparant d’un extincteur eut raison de cette résistance, la vitre dégringola.
Ils découvraient Gordon mollement avachi dans son fauteuil de cuir noir, le torse affalé vers l’avant sur quelques papiers restés sur le bureau, le bras gauche était replié sous la tête tournée sur la joue gauche, la main droite tenant encore à peine un revolver. À sa gauche, tout n’était que sang, résidus de projections d’os et de chairs en bouillie. Dans l’encoignure de la porte, tous étaient pétrifiés par cette vision d’horreur. Lewis s’approcha prudemment et constata sur la tempe droite de Gordon un énorme trou d’où le sang coulait encore. Personne ne toucha à rien, la police fut prévenue aussitôt.
La SOCA, l’équivalent de la « Crime » française, fut immédiatement diligentée. La section « technique et scientifique » commençait rapidement le relevé habituel typographique des lieux, la recherche d’empreintes, le prélèvement d’indices et autres perquisitions de dossiers et matériels informatiques. Également arrivé sur place, le légiste procédait aux premières constatations d’usage, sur un ton détaché :
- « Alors, qu’est-ce que nous avons... Homme... quarantaine d’années... Présence d’une blessure par balle... Plaie transfixiante au niveau temporal droit... Plus précisément, le trou de la cavité temporaire indique une entrée au niveau de la grande aile droite de l’os sphénoïde, provoquant dans le même temps la rupture de l’artère temporale superficielle droite... Cavité permanente vraisemblablement rectiligne... Le projectile... alors... la perforation d’entrée due à du 11 mm semble-t-il, je vous fais confiance pour vérifier la correspondance avec l’arme trouvée sur place... ensuite... Point d’entrée dans le cerveau au niveau du gyrus temporal moyen droit... La balle a traversé intégralement la boite crânienne... étant donné le calibre utilisé, point de sortie d’environ sept centimètres de diamètre au niveau de la ligne temporale supérieure de l’os pariétal gauche.... Cause du décès... au vue de la bouillie qu’il y a à l’intérieur... Sinon, plus sérieusement... la rigidité cadavérique... heure approximative du décès : entre 11 h 15 et 11 h 45. Bien sûr, l’ensemble de ces premières observations devront être confirmées par une autopsie... Voilà chef... si c’est bon pour vous et avec votre accord, je fais procéder à l’enlèvement du corps... Vous devriez avoir mon rapport demain... disons en fin de matinée. Bonne après-midi à tous ! »
Les résultats de l’enquête de police, concluant au suicide de Gordon Bradley, seront abondamment repris dans la presse, révélant au grand public une fraude estimée à quarante milliards de livres sterling. Certains journaux feront même l’écho d’une somme encore plus colossale... sans en préciser clairement le montant. La fraude « Bradley & Winston » était extrêmement simple, et reposait sur le système malheureusement bien connu « de cavalerie », encore appelé « vente pyramidale ». L’escroc promet des plus-values mirobolantes, les intérêts versés aux investisseurs existants du fond sont payés grâce aux capitaux investis par les investisseurs entrants. La double action, d’un carnet d’adresses suffisamment important pour toujours attirer de nouveaux gourmands et du capital confiance née de la réussite économique de ce self-made-man, permettait d’offrir des bases solides à cette vaste supercherie. Les récents événements secouant la planète financière poussaient de plus en plus d’investisseurs à se retirer. S’ajoutait alors le retrait soudain d’Georges sur l’établissement parisien forçant Gordon dans ses derniers retranchements, puis dans le choix de ce geste ultime. L’enquête conclut dans le même temps à l’implication de l’associé Georges Winston, occasionnant son arrestation et sa mise en examen.
Pour Georges, cette affaire avait l’effet d’un raz de marée traversant aussitôt la Manche pour gagner « B & B », débarquant dès le premier ressac la brigade de répression de la délinquance économique de la PJ, saisie par le parquet de Paris. Un réquisitoire supplétif permettait d'élargir le champ des investigations avenue de l’Opéra. Georges était directement suspecté, les enquêteurs trouvant douteux qu’il souhaite aussi promptement prendre sa retraite et céder ses parts de « Bradley & Berton ».
L’investigation franco-britannique dura cinq longues années, d’abord gelant les avoirs et biens immobiliers d’Georges, puis lui en restituant des miettes. Parallèlement, la procédure de divorce lui fut prononcée à tors. Durant cette interminable période, Georges, amaigri et moins arrogant, n’était plus que l’ombre de lui-même. Il s’était réfugié chez Dorothée, qui en douce amante, savait trouver les mots pour le réconforter. Ces interminables années eurent également des conséquences sur ses trois enfants, ballottés entre la certitude de l’innocence de leur père et la conviction de son implication.
Vendredi, l’information tourne en boucle sur les ondes : « Nouveau rebondissement parisien dans le scandale financier « Bradley » : les éléments à charge n’étant pas suffisamment solides à l’encontre de Georges Berton de la société de gestion de portefeuilles « Bradley & Berton » de l’avenue de l’Opéra, le parquet de Paris a conclu, dans le doute, sur un non-lieu... ».
Anna - Juin 2013
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