• * L'ENCRIER * « Jour des Quatre Sorcières» - 7/10

     

    * L'ENCRIER * « Jour des Quatre Sorcières» - 7/9

     

     

    Chapitre 7 - Produit dérivé

     

    ( Déf. : Contrat à valeur fluctuante selon l’évolution du taux, ne requérant aucun placement initial et dont le règlement s’effectue à une date future )

     

    * L'ENCRIER * « Jour des Quatre Sorcières» - 7/9

     

     

     

     

     

           À la sortie du bureau, si le temps lui était favorable, Dorothée aimait s’installer avec un livre au bord du grand bassin du jardin des Tuileries, qu’elle devait traverser avant de reprendre le métro. Rien ne la pressait pour rentrer dans son petit appartement à Vincennes. La lecture s’était révélée comme une bénéfique échappatoire durant les dernières années troublées de sa vie d’épouse. La première fois, le hasard avait porté sa main sur un roman de Bernard Simiot qui l’avait fait naviguer avec la compagnie des Indes et ressentir les vigoureux embruns sur ces visages malouins... Depuis son divorce, elle voyageait... dans le Paris de 1861 avec Anne-Marie, dans les rues de Moscou de 1991 avec Nina, dans la sierra de Teruel de 1936 avec Soledad... Parfois, dans le rouge couchant au-dessus de la Concorde, elle se bouleversait avec Hugo, Zola ou Baudelaire... La littérature devenait le succédané de sa vie morose et solitaire, où aucun relief ne lui permettait de s’agripper.

     

           En cette fin d’après-midi, assise sur le fauteuil métallique vert pomme des Tuileries, elle regarde l’écran de son téléphone portable... point le cœur à la lecture... excepté la liste de noms de l’annuaire...

    -   «  Bonjour, vous êtes sur le répondeur d’Georges Berton, indisponible pour le moment, merci de bien vouloir laisser vos coordonnées et le motif de votre appel. Je vous rappellerai dans les plus brefs délais...

    -   Georges, c’est moi... rappelle-moi dès que tu pourras... c’est important, il faut que l’on se voit. Je t’embrasse ».

    Le cœur serré, Dorothée avait quitté les jardins, « Ligne 1 - Château de Vincennes », puis attendu dans la pénombre de son salon la vibration tant espérée. Vers 23 h 30, un frisson aigu dans sa main la sortit de sa somnolence, et lut « HB »

    -   « Bonsoir, merci de me rappeler

    -   Dothy ? Que se passe-t-il ? Comment vas-tu ?

    -   Georges, il faut que l’on se voie rapidement, j’ai quelque chose d’important à t’annoncer...

    -   À m’annoncer ?... Quoi donc...

    -   S’il te plaît, je préfère t’en parler de vive voix...

    -   D’accord, attends euh... je regarde... oui, si tu veux demain soir je peux m’arranger... Veux-tu que l’on se retrouve à notre petit resto vers 21 h 00 ?

    -   Ça marche... à demain soir alors... 

    -   Tu m’inquiètes, tu es sûre que tout va bien ? 

    -   Oui oui, on en parle demain... 

    -   Bonne nuit, à demain

    -   Douce nuit à toi, je t’embrasse. »

     

           À deux pas du château, le lendemain, Georges et Dorothée se retrouvent dans la douceur de l’intimité voûtée du restaurant où ils aimaient se rejoindre. Les murs en pierre, les poutres apparentes, les lueurs vacillantes des bougies complétaient l’onctuosité de leur pause en aparté.

    -   « Madame, Monsieur, bonsoir... voici la carte... prendrez-vous un apéritif ?

    -   Je veux bien un jus d’orange - répond Dorothée

    -   Ah ?... Pas de champagne ce soir ... Alors un jus d’orange et un bourbon sans glace, merci... »

    Georges prend la main de Dorothée :

    -   Alors ma douce, qu’as-tu à m’annoncer ?

    -   Georges... C’est grave...  Je suis enceinte... enfin le test est positif...

    -   C’est... euh... enceinte ? Mais je croyais que...

    -   Oui, moi aussi... le médecin m’avait certifié qu’après la fausse couche je ne pourrais plus avoir d’enfant... mais là... j’avais du retard... j’ai fini par acheter un test en pharmacie... il y a trois jours, c’était positif... comme celui d’hier matin...

    -   Bin mince alors... c’est incroyablement formidable ! Un bébé...

    -   Tu n’es pas fâché ?... Je pensais que tu aurais préféré que...

    -   Que quoi ?... Que tu avortes ?... Ah non alors, je respecte trop la vie... un petit bout de chou de toi... quel bonheur...

     

           Le dîner se termina dans la quiétude de cette annonce ouateuse. Georges raccompagna Dorothée jusqu’à son appartement, s’y attarda un peu et reprit le chemin de Paris. Si on lui avait prédit, il y a un an, qu’il ferait la connaissance de Dorothée, la secrétaire de Richard au quai d’Orsay, alors qu’il allait y demander la faveur d’un stage pour Victoria... puis le besoin de trouver mille et un prétextes pour y retourner plusieurs fois... leurs quinze années de différence et déjà leur premier long baiser dans le « Fer à Cheval » du jardin des Tuileries... ils avaient même ri de ce baiser porte-bonheur... et là, maintenant... il venait d’avoir cinquante et un ans et allait à nouveau être père... un enfant... c’était fabuleusement délicieux...

     

           Mais, avec Dorothée, tout était fabuleusement délicieux, son grand sourire, ses yeux verts pétillants sous sa frange brune, la douceur de sa voix... Georges lui avait avoué un soir qu’elle était son havre de paix... En réalité, il savait que cela allait bien au-delà de sa discrétion commode pour une escapade extraconjugale, et de sa douceur incomparable pour une pause plaisir au milieu des tourbillons de sa vie. Dorothée était réellement différente.

     

           Au début, Georges avait mis la réserve dont elle faisait preuve sous le signe du charisme qu’il pouvait dégager étant donné son âge, sa corpulence et son statut, puis lors de leurs premiers tête-à-tête comme de la timidité, il n’en était rien. Dorothée écoutait beaucoup plus qu’elle ne parlait. Selon elle, c’était pour cela que l’on avait une bouche et deux oreilles : pour écouter deux fois plus et apprendre cent fois plus des autres. Georges avait trouvé la formule amusante. Dorothée s’intéressait à tous les sujets de discussion, toujours curieuse d’assimiler de nouvelles connaissances ou d’approfondir ce qu’elle savait déjà. Georges avait été très sensible à cet appétit intellectuel. Mais ce qui le surprenait le plus était la capacité qu’avait Dorothée de toujours trouver du positif en tout et de s’y accrocher ; derrière un petit défaut, il y avait forcément une grande qualité. Leurs conversations pouvaient durer des heures. Dothy était aux antipodes de Caroline qui jugeait tout, tout le monde, et restait irrémédiablement dans l’Art avec un grand « A » ou le sens esthétique des choses...

     

           Dorothée s’était attristée quand elle avait appris qu’Georges n’avait pas accepté qu’Alexandre veuille faire de la danse classique :

    -   « Il n’y a pas de honte à vouloir faire le métier que l’on aime, au contraire... avait-elle dit.

    -   Oui mais de la danse classique pour un garçon... y a plus viril...

    -   Tu as certainement raison, pourtant on peut voir aussi la danse comme un sport qui demande, tout comme les autres, des heures d’entraînement. Cela ne doit pas être facile tous les jours, il faut de la persévérance pour réussir.

    -   J’espérais tant qu’il suive ma trace...

    -   Ton Alexandre a le droit à la différence, et on s’enrichit toujours de la distinction des autres, cela crée une argumentation constructive des deux côtés, à la condition de ne pas vouloir modeler l’autre à son image... En plus, il reste ton fils, que tu le veuilles ou non... ».

     

           Toutes ces discussions faisaient beaucoup réfléchir Georges sur lui-même, sa façon de se comporter avec ses propres enfants ou avec les autres personnes qu’il côtoyait, certains de ses avis s’en voyaient enrichis d’arguments complémentaires. Il appréciait énormément ces longs dialogues avec Dorothée. En revanche, il se sentait toujours aussi maladroit pour lui exprimer simplement les émotions qui pouvaient l’envahir au plus profond de son âme, trop pudique pour laisser dire le plus profond de son cœur. Lui qui était un homme maîtrisant parfaitement le sens des mots et capable de discours concis et clairs, Georges se sentait empêtré dans l’expression de ses sentiments amoureux. Il était comme un enfant recevant à Noël un cadeau trop grand pour ses bras qui, hébété, ne saurait pas par où le prendre. Dorothée, telle une habile musicienne, avait la clé du langage des silences et des soupirs, ce qui était agréable. Il pressentait pourtant que la présence de Dorothée lui était nécessaire, qu’avec elle, il touchait peut-être réellement le bonheur du bout des doigts et qu’il avait envie de traverser la vie à son bras.

     

           Cette future naissance résonnait alors comme le signal d’une nouvelle chance. Georges décidait de s’intéresser vraiment aux désirs de ses deux enfants Victoria et Alexandre. Il devait les soutenir dans leurs projets autant que faire se peut, sans compter le petit dernier. A contrario, il subodorait que la vie commune avec Caroline arrivait à son terme, trop de distance les séparait désormais et il lui devait la vérité. Un cycle de vie venait de tourner sa page.

     

     

     

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