• * L'ENCRIER * « Jour des Quatre Sorcières» - 8/10

     

    * L'ENCRIER * « Jour des Quatre Sorcières» - 8/9

     

     

    Chapitre 8 - Volatilité

    ( Déf. : Mesure de l'ampleur des variations du cours d'un actif servant

     

    de paramètre pour la quantification du risque )

     

    * L'ENCRIER * « Jour des Quatre Sorcières» - 8/9

     

     

     

     

           Le début d’une aventure commence toujours dans une tête, puis dans plusieurs mettant en commun leurs idées, les rêves insensés, les utopies, les envies, les refus, les désirs de refuges et de changement de vie. Toujours parce que le vivant est plus fort que les idéologies de consommation, et que le financier sur l’humain. Alors ?... Que faire de toutes ces nouvelles richesses ? Les exploiter ensemble comme l’inauguration d’une parenthèse enchantée, et se lancer dans l’aventure comme des enfants émerveillés ouvrant un coffre aux trésors.

     

           À peine l’enveloppe de sa « démission » anticipée glissée dans les mains de Gordon, Victoria refaisait ses sacs pour reprendre au plus vite l’Eurostar dans l’autre sens. Demain, elle se trouverait un petit studio à louer et appellerait Mary.

     

           Vic’ la retrouve trois jours plus tard dans un pub, et lui relate la soirée d’adieu au monde de la finance dans ses moindres détails. Elle commence à évoquer son désir de troquer sa tenue de banquière pour un costume de « saltimbanque » :

    -   « Et ça t’a pris comme ça ? questionne Mary

    -   J’ai souvent repensé à cette fameuse soirée où vous m’avez littéralement incendiée. Je me suis demandé pourquoi, ce que j’avais fait pour mériter un tel déferlement d’animosité. Je n’ai pas saisi immédiatement... il m’a fallu du temps...

    -   Et maintenant, que comptes-tu faire ?

    -   Je me suis dit que la vie... du moins la mienne était ailleurs... J’ai engrangé pas mal d’argent avec le trading, cela permettrait de repartir à zéro... Il faut bien que cet argent serve à quelque chose d’autre... Monter un vrai spectacle par exemple !... Le mieux serait de se voir tous ensemble et en discuter...

    -   C’est vrai que cette soirée a fait des dégâts ! Le groupe n’est plus tout à fait le même, les « Soho’s O. » existent toujours, mais on n’est moins régulier dans nos répétitions, on ne donne plus vraiment de spectacles...

    -   C’est dommage... Qu’est-ce que je peux faire ? Tu peux voir avec Rose si elle veut bien me revoir ?... Et avec Ronald...

    -   Rose, oui je peux lui en toucher deux mots. Quant à Ronald, c’est celui que l’on revoit le moins souvent aux répet’ chez Rose... Tu peux p’tre essayer de traîner du côté d’Arnold Circus, il est souvent dans le kiosque de « Boundary Gardens » pour y jouer de la zic’.

    -   OK et toi tu en penses quoi ?

    -   C’est sûr que ça change, si on a du fric pour une salle ou un peu de matos... mais bon, faut qu’on en discute tous ensemble. On se tient au courant ?

    -   OK, on se rappelle... Bye »

     

           Tout débuta plus de quinze jours après avec une première réunion chez Rose. Le premier « bon point » : tous étaient là ! Après il fallut un peu de temps pour dissiper les légères tensions de ces retrouvailles. Enfin, Mary décida de prendre la parole la première :

    -   « OK, les mecs, on connaît tous Vic’ et son plaisir pour le fric, mais c’est bon, il parait qu’elle serait guérie... Elle semble vouloir sauter la barrière des rêves et donner un coup de main aux « Soho’s O.». Perso, je suis d’accord pour lui donner une dernière chance, et cela serait p’tre une façon de redonner du souffle au groupe, enfin, si le groupe lui-même veut toujours exister... Je propose qu’on vote à mains levées... qui est d’accord pour que l’aventure continue ? »

    Toutes les mains étaient levées... deuxième bon augure...

    -   « OK, on reprend l’aventure... conclut Rose, mais concrètement on peut faire quoi et comment ? En dehors du fait qu’il y a un membre supplémentaire ?

    -   Le membre supplémentaire comme tu dis, poursuit Vic’, a un paquet d’argent de côté qui pourrait, si je reprends une idée évoquée par Mary, permettre de louer une petite salle pour les répet’ et les spectacles et peut-être un peu d’équipement... ?

    -   C’est vrai qu’une petite salle ne serait pas du luxe, parfois les voisins avaient tendance à gueuler du barouf qu’on faisait parfois le soir..., enchaîne Rose

    -   Au niveau matos, hormis une scène, un rideau rouge et des projos... pour commencer..., continue Ronald

    -   Faudrait penser d’abord à définir quel type de spectacle on veut faire ? on reste sur le théâtre classique ? on écrit nos textes ? ... Si on loue un local, est-ce qu’on abandonne les représentations de rues ?... ça veut dire la fin des techniques de cirque ? Où est-ce que l’on trouve une formule à nous ?... » poursuit William.

     

           Les discussions allaient bon train, et les idées fusaient, coffres et malles aux trésors s’ouvraient sur de grandes espérances. Le tiers de la future troupe travaillait ou allait en cours, Ronald et Vic’ furent donc chargés de trouver le local.... Des semaines de recherches et de visites... Locaux trop grands... trop chers... inadaptés... Ils arrivent devant un petit immeuble de forme délirante sur Kings Cross Road, encastré entre une église et un bâtiment de briques de six étages. L’extérieur de l’immeuble offre aux regards trois étages de longueurs différentes. Renforçant cet aspect bancal du bâtiment, un bardage aluminium posé en biais s’oppose avec l’horizontalité des bandeaux vitrés. Ronald et Vic’ sont aussitôt enthousiasmés par ce look décalé qui leur correspond. Une fois à l’intérieur, le rez-de-chaussée permettait d’imaginer l’installation d’une salle de spectacle, mais tout restait à faire. Les travaux colossaux risquaient fort d’amputer leur budget. Il leur fallait se résoudre à abandonner le centre de Londres, et dénicher un entrepôt plus humble... Ce fut chose faite la semaine suivante du côté de Preston's Road complètement à l’est de Londres.

     

           Pendant cette recherche, leurs réunions avaient fait progresser leur projet de baladins. Rien ne serait délaissé : le théâtre classique, les textes de leur composition, les techniques du cirque, la musique... le tout mêlé dans la poésie des corps et des voix. Ils s’étaient également trouvé un nouveau nom pour marquer ce renouveau, « L’Unik’Theater ». Le concept était fragile et les auteurs innocents. Le samedi suivant, ils se retrouvaient tous à « L’entrepôt ».

     

           Avec l’aide de son père, Matthew arrive avec une camionnette débordante de peinture, planches, échelles, outils, de projecteurs rouillés sur les bords et autres ferrailleries pour construire la future scène. Les autres s’affairaient déjà à déblayer et nettoyer ; en fin de journée, la place était nette. Durant des semaines, toute l’équipe cloue, peint, colle, soude et tous rêvent debout... La salle commence à ressembler à leurs espoirs. Dans une salle des ventes ils glanent pour pas cher un grand comptoir qui pourra servir de guichet pour la vente des futurs billets. Lors d’une liquidation judiciaire, ils achètent une quarantaine de sièges en plastique moulé, tant pis s’ils sont dépareillés, toutes ces couleurs feront plus gai ! La scène est enfin montée, et miracle, elle tient ! En revanche pas de grand rideau rouge, des grands panneaux de bois peints en noir de part et d’autre de la scène feront offices de coulisse.

          

           Déjà l’heure des plaisirs des compositions et des créations musicales a sonné. Ils attaquent la construction d’un spectacle d’une heure trente, ne racontant pas une mais des histoires. Les répétitions se succèdent avec gourmandise. Ils deviennent tour à tour artiste, metteur en scène, musicien, mime, orateur, producteur, jongleur, chargé de restauration rapide, éclairagiste... Mais aussi distributeur de tract et colleur d’affiches. Il ne restait plus à savoir qui aurait, à l’entrée de « L’entrepôt », le rôle du chien debout sur ses pattes arrière, une balle en équilibre sur la truffe...

           Enfin, la première représentation devant vingt-cinq personnes. Première « Levée de rideau » sans rideau, la salle est dans le noir le plus total. Matthew branche les projecteurs, trois rais de lumière convergent vers la scène... pour disparaître instantanément ! Coupure générale ! Les minutes passent... La lumière revient deux secondes et demie accompagnée de « Oooh » et de « Aaah » de la salle, pour s’éclipser à nouveau.

    -   «  Flûte ! Le disjoncteur ne veut rien savoir, c’est plus grave ! » conclut Ronald.

     

           La première représentation vient d’être annulée, l’espoir de la première maigre recette aussi... Tous les billets sont remboursés ! Un électricien de métier diagnostiquera que les projecteurs s’ils étaient allumés un à un ne posaient aucun problème. En revanche, il ne fallait pas brancher les trois en même temps, cela provoquait une surtension. Certains câbles d’alimentation avaient quasiment fondu par endroits... « L’entrepôt » avait frisé la catastrophe ! Pour saupoudrer le tout, deux jours après, une commission de sécurité de la ville vient inspecter les lieux. Le verdict tombe : les locaux devront être fermés jusqu’à leur contrôle. Les travaux de rénovation de l’installation électrique deviennent impératifs, le budget sans recette se creuse. La location de « L’entrepôt », l’assurance, les achats d’accessoires et les costumes même achetés aux fripes... la troupe est au chômage forcé et attend un miracle.

     

           Vic’ décide alors de trouver des sponsors pour faire vent contraire à cette chute monétaire. Elle troque à nouveau sa salopette et son nez rouge pour une robe et des escarpins. Elle rapporte dans son escarcelle quelques centaines de livres sterling des rares magasins aux alentours en échange de publicités sur les prochains tracts et affiches, et deux mille d’un brasseur de bière. Ce dernier impose ses conditions : accrocher sa bannière publicitaire de façon visible dans « L’entrepôt ». Rose avait quand même avoué, qu’il était parfois confortable d’avoir une « financière » dans l’équipe ! Chaque déboire renforce cet esprit de groupe. La première représentation se déroule enfin, un peu chaotique par trop de stress, mais finit par se rôder au fil du temps. Au cours de l’année, la scénographie s’affine au fil de l’eau, les tableaux s’enchaînent de mieux en mieux, les voix portent davantage jusqu’au fond de la salle, les numéros se déclinent dans la fluidité des gestes. Alimentés par le bouche à oreille, les spectateurs sont un peu plus nombreux à chaque fois, et la satisfaction de « L’Unik’Theater » s’installe. Désormais, la troupe joue trois soirs par semaine.

     

                   En cette fin d’après-midi, la troupe est déjà arrivée pour la représentation du soir. Rose signale à un couple devant l’entrée de « L’entrepôt » qu’il était bien trop tôt, la salle n’ouvrant qu’à 19 h 30, pour un spectacle à 20 h 00. L’homme demande aussitôt si Victoria Berton est déjà arrivée. Rose entre et interpelle Vic’ qui se retourne :

    -   « Vic’, y a des gens pour toi ! »

    -   Oui j’arrive !..., répond-elle en sautant de la scène et en se dirigeant vers l’entrée...  Papa ?...

    -   Bonjour Victoria, j’espère que je ne te dérange pas

    -   Non bien sûr...  surprise de te revoir... Tu es à Londres depuis quand ?

    -   Nous sommes arrivés hier soir... Je te présente Dorothée et la petite Lou-Ann. »

     

           Légèrement dans l’ombre, une femme d’environ quarante-cinq ans tient d’un côté le bras de son père, et de l’autre la main d’une fillette déjà grande :

    - «  Bonjour » répond simplement Vic’ un peu éberluée

    - « Nous n’allons pas t’embêter plus longtemps, c’était juste pour te dire que nous assisterons au spectacle de ce soir... Si tu as encore un peu de force après ...  Peut-être que... Nous pourrions aller dîner tous les quatre... Si tu le veux bien... ou demain, comme tu le souhaites...

    - Euh, oui... après le spectacle... Si vous voulez, c’est un peu tôt, mais vous pouvez rester à l’intérieur... Je vous laisse, je dois aller me préparer... »

     

           Cette visite impromptue perturba Victoria une bonne partie de la soirée, elle dut décupler d’attention pour ne pas se tromper dans ses textes, apparaître ou sortir au bon moment. Aux autres qui s’interrogeaient déjà sur l’identité des personnes, elle avoua :

    -   «  C’est mon père... mais ce n’est ni ma mère, ni ma petite sœur...

    -   Ah, tu ne nous avais pas dit que tes parents étaient divorcés, s’enquiert Ronald

    -   Ils ne le sont pas !... »

          

           À la fin du spectacle, Georges vient timidement féliciter toute la troupe et Vic’, qu’il emmène dîner. Au cours du repas, Victoria apprend que l’aventure amoureuse de son père remonte à sa troisième année de sciences po. La petite Lou-Ann est sa demi-sœur âgée de sept ans. Georges lui annonce qu’il a également pris trois grandes décisions :

    -   « Dorothée m’a convaincu de reprendre contact en douceur avec Alexandre, enfin s’il l’accepte... Mais je ne sais pas trop où ni par quel moyen le contacter. Peut-être pourrais-tu m’aider ?

    -   En effet, ça risque de ne pas être si simple...  mais je verrais ce que je peux faire, rétorque Vic’

    -   Ensuite, tu n’es pas sans savoir que ta mère et moi ne vivons plus sous le même toit depuis presqu’un an, le divorce est en cours de procédure.... Enfin, je crois que j’ai fait mon temps dans la finance, j’ai prévenu Gordon, il pourrait me racheter mes parts de « B & B », ainsi en mars prochain je serais en retraite.

    -   Eh beh... je reste sans voix... Dorothée, vous devez être magicienne ou sorcière pour transformer mon père de la sorte ! »

     

           La soirée sur la réserve, évitant les événements fâcheux d’un certain soir d’orage, restait malgré tout amicale. La conversation se poursuivit sur les difficultés de démarrage de « L’Unik’Theater » et l’incendie qui avait bien failli faire avorter le projet dans l’œuf :

    -   « Tu vois Papa, même dans le spectacle tout n’est pas gagné d’avance, c’est un pari... financier lui aussi...

    -   Le groupe aurait pu se disloquer, ose Dorothée...

    -   En effet, répond Vic’, mais au contraire cela nous a encore plus soudés je crois.

    -   Aujourd’hui, qu’est-ce qu’il vous manque ? questionne Georges

    -   D’être sûrs d’avoir du matériel conforme aux normes de sécurité, je crois que c’est le plus impératif...

    -   Si je peux vous aider... ce serait avec plaisir. »

    Vic’ ne revient pas encore de toutes ces annonces et du changement d’attitude de son père.

     

           À la veille des fêtes de Noël, les « Unik’Theater » se retrouvent pour clore joyeusement l’année autour d’un bon repas. Vic’ et Ronald ne sont pas encore arrivés.

    -   « Humm humm..., soupçonne Matthew, je les trouve souvent en retard ensemble ces deux-là...

    -   Qu’est-ce que tu vas chercher, rétorque Mary

    -   Moi, je dis, que depuis qu’ils ont cherché le local, y a anguille sous roche. » poursuit Matthew

    Vic’ et Ronald apparaissent à l’entrée du restaurant, se pressant et riant...

    -   « Salut tout le monde ! désolé d’être en retard, s’excuse Ronald

    -   Justement, Matthew pensait que vous aviez certainement mille choses à faire tous les deux, de plus intéressant, poursuit Mary

    -   Euh... ah oui ? comme quoi par exemple, demande Vic’

    -   Se tenir par la main, ou se faire des bisous par exemple... coupe Mary

    -   ...

    -   Ah ! qui ne dit rien, consent...  Et cela dure depuis combien de temps votre histoire ? insiste Rose

    -   Bon, bon, ça va, je vois que la discrétion ne paie plus... OK, on avoue, on avoue... Cela a commencé peu après la découverte de « L’entrepôt ». Voilà, vous êtes contents ? On peut continuer la soirée sans convoquer la presse ? » sourit Ronald.

    Sans être réellement une réunion de travail, le sujet de discussion tournait facilement autour des projets futurs. William suggéra de réfléchir à une nouvelle mise en scène pour lancer une dynamique :

    -   « On peut peut-être laisser un peu plus de place à la musique ?

    -   Oui, ça serait une bonne idée, poursuit Ronald le plus musicien de la troupe

    -   Elle pourrait devenir un réel support rythmant les numéros plutôt que se borner aux intermèdes, continue Vic’

    -   Ouais, pourquoi pas, mais cela nécessite les compétences d’un vrai metteur en scène, dit Mary

    -   Pourquoi pas un chorégraphe, et on se met en tutu pendant qu’on y est ! coupe Rose

    -   Bah, c’est sans doute pas si bête..., dit Vic’

    -   Les tutus ? coupe William

    -   Non... le chorégraphe... Justement mon frère Alexandre fait une pause dans sa tournée européenne. Je peux lui demander s’il peut venir nous donner quelques conseils, dit Vic’

    -   Je trouve que c’est une excellente idée ! » conclut Ronald

     

           Alexandre accepta la proposition, profitant de ses deux mois de congés pour s’installer dans l’appartement de Vic’. Il regarda attentivement plusieurs fois leur spectacle, avant de commencer à prodiguer quelques suggestions de mise en scène pour le prochain. Il travailla beaucoup la partie musicale avec Ronald et Matthew. Les scénographies ne seraient donc plus des successions d’histoires ou des juxtapositions de mises en scènes. L’idée est de créer un réel mélange intime et simultané de plusieurs techniques issues du cirque, de la danse et du théâtre soutenues par la musique. Le prochain spectacle était prometteur, fondamentalement novateur. L’équipe mettait les bouchées doubles, aux représentations actuelles s’ajoutait l’entraînement des futurs tableaux. Cette nouvelle méthode de travail artistique insufflée par Alexandre était vraiment ce qu’il fallait à « L’Unik’Theater » et, inconcevable jusqu’alors, le prochain spectacle serait prêt avant la première ! Toute la troupe semblait faire corps derrière Alex, qui apportait un grand regard neuf et beaucoup de son professionnalisme. La malle aux trésors n’en finissait pas de s’ouvrir et de tous les émerveiller.

     

           Tous ? Rose semblait la moins enthousiaste, mais quand on la questionnait, elle répondait que tout allait bien. Un soir de représentation, Vic’, en coulisse avec Ronald, semblait plus absorbée par les yeux doux de ce dernier que du timing de son entrée en scène. Rose doit alors poursuivre plus longtemps sa prestation qui devait finir sur un duo de jonglage avec Vic’. Une fois la salle vidée de ses spectateurs, rapidement Rose prit un ton de reproche à l’encontre de Vic’ :

    -   « Pendant que Mâademoiselle se pâame devant son tourtereau, d’autres font leur boulot correctement, enfin s’ils le peuvent... tonitruait-elle sur un ton grinçant.

    -   Oui, pardon, j’aurai dû l’être plus attentive, répondit Vic’.

    -   Attentive ? Tu devrais plutôt dire professionnelle, Mâadame la financière !

    -   Je ne vois pas le rapport avec la finance... ?

    -   C’est l’ensemble de ton attitude, le rapport ! Les autres ne voient rien, mais moi si ! Petit à petit sous tes airs de sainte-nitouche repentie ! Tu t’es bien débrouillée hein pour mettre la main sur ma troupe... Un p’tit coup de pognon par-ci, un p’tit coup de chorégraphie avec le frangin par-là... et zou, le tour est joué !

    -   Je ne cherche pas à faire main basse sur quoi que ce soit ! Tu délires ?

    -   Je délire, ouais ouais, c’est ça... Et miraculeusement, tu t’es débrouillée pour mettre Ronald dans ton lit, pendant que le p’tit frère fait les yeux doux à Matthew et l’affaire est dans le sac !

    -   Ma parole, tu es jalouse de ce qu’il se passe entre moi et Ronald plutôt, non ?

    -   Pas du tout ! Les « Soho’s O. », c’était mon idée, et il en reste quoi ? Rien du tout ! « L’Unik’Theater »... pfff ! N’importe quoi !

    -   Bon... OK, maintenant on va tous se calmer..., coupa Ronald

    -   Oh toi, c’est bon... tu ne vas pas t’y mettre aussi ! », pesta Rose, tout en attrapant son blouson en jean et quittant promptement « L’entrepôt », laissant les autres éberlués.

    -   ...

    -   « C’est vrai qu’elle aime Ronald secrètement depuis le début, finit par dire Mary au bout d’un moment.

    -   Ah bon ? ... Bin première nouvelle, répondit l’intéressé.

    -   Ah ça, la jalousie est un sentiment d’une puissance incroyable, il peut tout mettre par terre en deux minutes, poursuivit Victoria. Que ce soit une jalousie amoureuse, ou la jalousie d’une réussite professionnelle. Je l’ai vécu quand je faisais du trading. Au bout de deux ou trois mois, étant la seule fille du « Front Office », les mecs me glissaient chaque jour des peaux de bananes pour que je me casse la figure. En plus, les relations privilégiées de mon père avec Gordon, le patron du staff, étaient loin de calmer les esprits...

    -   ...

    -   Je ne pensais pas que mon arrivée aurait créé autant de problèmes dans le groupe, poursuit Alexandre. Je devais ne repartir que dans trois semaines, mais je crois qu’il serait plus sage que je rentre avant l’implosion totale...

    -   Non, c’est idiot, coupe Mary. On finit ce que l’on a commencé !... D’accord ?

    -   Moi je suis d’accord ! dit William. Le prochain spectacle est presque monté, on ne va pas mettre tout par terre pour Rose qui pique sa crise.

    -   J’irai la voir et essayerai de la calmer... Après, soit elle revient et on continue avec elle, soit... soit elle décide de partir... Il faut l’envisager... On devra trouver une remplaçante au pied levé, cela ne va pas être simple... poursuit Ronald.

     

           Dans l’ombre d’un coin de scène, assis par terre les jambes fléchies dans ses bras, Matthew ne disait rien, prostré. Depuis le début, il savait qu’Alexandre ne resterait indéfiniment pas à ses côtés, mais accepter cet éventuel départ anticipé... il n’était pas prêt. L’arrivée d’Alexandre avait illuminé son cœur, son corps aux mouvements majestueux était beau, son regard plein de tendresse l’avait pénétré. Alexandre, lui, avait admiré le torse sculpté de Matthew en train de scier quelques planches pour un décor. Leur idylle amoureuse naissante les avait troublés, s’enrichissant à chaque moment d’intimité. Ce soir, les excès d’orgueil de Rose se transformaient en un long gémissement intérieur, le déchirant d’imaginer déjà le départ de ce bel ami.

     

           Ronald ne parvint pas à convaincre Rose de revenir sur ses propos, elle lui annonça au contraire son désir de quitter la troupe ; d’ailleurs, elle avait déjà retrouvé une place de serveuse dans un restaurant de Camden. « L’Unik’Thater » devait donc trouver promptement une remplaçante pour ne rien compromettre... et, comme le clame la formule consacrée, « Que le spectacle continu ! ».

     

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