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* L'ENCRIER * « La Malédiction d’Amaël » 4/4
Zack Hemsey - Mind Heist Evolution
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Le crépuscule camouflait la poussière s’élevant sur le sentier. De grands flambeaux en chapelet s’avançaient serpentant sûrement. Des trompes précédaient le pieux cortège. Le pas écrasant des chevaux portant noirs cavaliers et tirant lourdes charrettes vibraient dans la combe tremblante. Franchissant les murs d’enceinte, les soldats se redressaient sur leurs montures caparaçonnées aux symboles de la Sainte Inquisition, aux grandes oriflammes portant le sceau solaire flanqué des « IHS » tranchés de la croix épée. Les villageois ne savaient désormais plus quelle colère il leur fallait redouter, celle Galia ou du Grand Inquisiteur ?
Les soldats encerclèrent aussitôt le placître, enflammant de grandes brasières. En génuflexion, le recteur baisait la main gantée de frère Grégoire. Pour toute prédication générale, il harangua la troupe de saltimbanques :
- « Il y a un ordre naturel en ce monde, celui de Dieu. Quand je marche dans la vallée de l'ombre de la mort, je ne crains aucun mal, car il est avec moi. C’est la seule vérité. Elle est une et indivisible. Je ne vois ici qu’une meute satanique. Nul besoin de procès. Les démons viennent tout droit de l’Enfer et par le feu ils y retourneront ! »
De grandes brassées de bois furent disposées autour des roulottes, des barriques d’huile répandues par-dessus. Les villageois restaient tapis, craignant les foudres démoniaques de la sorcière et du monstre. Galia apparue aérienne, lévitant demi-nue dans de rouges voiles, les mains dirigées vers le sol invoquant les Enfers. La repoussante pouilleuse paraissait sous les traits d’une jeunesse ensorceleuse aux yeux d’argent et rouge chevelure. Diaboliquement hypnotisantes, ses courbes langoureuses de succube auraient damné tous les saints. Cette maudite sublimité n’en restait pas moins effrayante :
- « Je vous implore Esprits et Démons demeurant en quelque partie du monde, de l’orient à l’occident. Je sollicite votre puissance donnée par Lucifer. Sur autorité accordée par l’unique et seul roi, je vous contrains sans faillance ni tromperie de répondre à cet appel. Paraissez sur-le-champ au milieu du pentacle ! Sans crainte ni terreur, sans peur de nos ennemis, que ma colère soit vôtre en cette nuit et pour l’éternité !... »
Les soldats ne tremblèrent pas. Le brasier dévorait déjà bois et lambeaux de rideaux des plus proches roulottes. Se frottant les mains, frère Grégoire se repaissait d’avance du funeste spectacle, les yeux animés de vengeance. Soudain, un vent en rouge tornade se leva au milieu de l’anneau de feu. Sans répit, les tourbillons s’amplifiaient. Cet ardent chaos fracturait les dalles. Les ténèbres s’ouvraient libérant les puissances invoquées. D’ignobles créatures se dressaient face aux armes : démons fouettant l’air des feux de l’Enfer, diablesses affriandant les soldats, Arioch lui-même surgit dans son incandescente crinière. Le brasier grossissait. Un instant effrayés par ce débordement machiavélique, les divins serviteurs n’écoutèrent que leur courage. Les lances se dressaient avides de justice. Les pieux embrochaient les poitrails. L’odeur du sang, la chaleur de l’acier attisaient ce déferlement bestial. Des flèches d’arquebuses fusaient au milieu du sabbat. Pertuisanes et bardiches tranchaient les membres. Les premières têtes roulaient sur le sol. Les flammes du bûcher, mêlées à celles des enfers, devenaient colossales. Ceux qui n’étaient pas encore morts périrent brûlés vifs. D’autres poussaient d’atroces hurlements. Les candides clowns flandrins dansaient sur les braises en riant. Tancrède s’embrasait devant les restes calcinés d'une roulotte. Mais les démons s’éternisaient dans la fournaise. Tripes et corps démembrés jonchaient la pierre.
Brusquement, une lumière bleutée déchira la nuit, tel un céleste aiguillon illuminant la plus puissante des mains armées de l’Inquisition. Un paladin, l’ultime bouclier quand tout exorcisme échoue. Galfayar se dressait face à cette vile félonie. La reine des ténèbres, psalmodiant à nouveau son venin, attisait les démons. Ils se regroupèrent en un seul sombre cyclone. Apparut alors le plus cruel des balrogs. Le déchaînement fut titanesque. Les lames mordaient les chairs. Bien et Mal s’affrontaient en foudres surnaturelles. Aucune mémoire d’homme n’avait souvenance d’un tel cataclysme. Le balrog semblait faiblir sous la puissance de Galfayar. La terre et le ciel se défiaient. Puis le balrog reprenait le dessus. En vagues incessantes, nul n’aurait pu prédire un quelconque vainqueur. Des heures de combat... Le dernier bras armé de l’Inquisition s’écroula. Frère Grégoire quittait le narthex où il s’était retranché. Abandonnant cité, recteur et détachement militaire, il grimpait en toute hâte dans son chariot. Des villageois plus braves matèrent son attelage avant les douves. Arraché de sa carriole, frère Grégoire eut la gorge tranchée, la tête hissée sur un pic. Le paladin perclus, un rire inhumain jaillit des lèvres de l’arrogante, fière de sa victoire sur les noirs calotins. Les innocents seraient bientôt à elle !... Oubliant dans sa sanglante libation, Tancrède et les deux clowns calcinés, Diablo évaporé fidèle à sa magie, Calliope le visage transpercé et désormais aveugle, la vieille Endora et Aurora dissimulées dans un caveau éventré, un clown dorénavant triste. Négligeant surtout l’embrasement du tombereau supportant la cage. La cellule en tombant avait fracturé les chaînes. Dans cette tapageuse confusion, Amaël avait disparu sous la lune à son comble... La folie guerrière s’évanouit...
Sans Amaël, nulle espérance pour Galia d’obtenir désormais son sanglant butin. Se protégeant par d’ultimes maléfices, Galia et ses derniers saltimbanques quittèrent la ville dans les brumes de l’aube. Les villageois demeurèrent cloîtrés jusqu’à leur passage par-delà les hauts murs. Les portes de la ville furent aussitôt solidement barrées. La misérable caravane d’ombres s’éloignait dans ses lueurs verdâtres. Le bruit des roues ferrées du cortège s’atténuait sur les caillasses. Le bois des dernières roulottes craquait plus fortement dans les fondrières du chemin. Tambourins et flûtes ne chantaient plus en virevoltante musique à l’approche des sombres forêts...
À quatre pattes, dans le silence nécessaire à son funeste forfait, l’animal avait suivi sournois le minable cortège. Galia n’entendit pas ramper la mort insidieuse. Comme né de l’irréel et soudain prenant forme, le fauve avait jailli en une nuée ardente. Tel l’éclair, il la foudroyait sur le dos, d’une patte éperonnant ses lèvres pour faire taire tout nuisible sortilège, des trois autres l’ancrant fermement sur la pierraille de la sente. Le regard de la bête traversait au plus profond les yeux son abject tyran, le transperçant jusqu’aux abîmes de son crâne maléfique. Cette hyène devait affronter sa mort en face. Personne pour lui venir en aide... le reste de la troupe avait fui à la vue du géant. De sa patte droite posée sur le sein surgirent ses lames effroyables. Elles s’enfoncèrent dans le thorax de Galia. Se contractant telles les serres d’un aigle, elles lui arrachèrent le cœur encore battant et tiède... Il possédait l’antidote à sa malédiction. Se redressant alors, il le dévora gloutonnement, laissant les entrailles en offrande au nuage de noirs vautours planant au-dessus du cadavre.
Des rugissements déchirant la brumasse montèrent de la combe. Soudain, sa gueule se rétracta, crocs et griffes rétrécirent, et sa surpuissante musculature velue se désagrégea. Amaël se tordait prisonnier du supplice infernal. Du tréfonds de son âme, il avait mille fois imploré les cieux pour que survienne le jour béni de cette suprême mutation. Aujourd’hui, il la redoutait, craignant de n’en sortir vivant. Son crâne lui semblait imploser, son corps se fragmenter. Il étouffait la poitrine comprimée. Il ressentait le moindre de ses os et la moindre de ses tripes, comme s’ils se broyaient. Amaël s’affranchissait dans d’atroces souffrances.
Le paladin gravement blessé, inanimé, fut laissé pour mort. À la fin du déluge, reprenant ses esprits, il s’était traîné suivant les traces de cette rouge infamie faite femme. Se protégeant des sous-bois, il avait tout vu du carnage, témoin silencieux de la déchéance macabre de Galia. Il avait tout entendu des hurlements de l’agonie jonchant les pierres et les champs. Pourtant, il s’était tu, attendant l’instant salutaire. À la nuit tombée, Amaël gisait sur le sol, anéanti. Alors Galfayar se rua sur lui, l’embrochant d’un seul geste, enfouissant telle la foudre sa lame en plein cœur. Homme impuissant, perclus, dénudé d’hostilité, au bout de ses forces et de son âme, Amaël expira son dernier désir.
« Enfin libre, éternellement... ».
Fin
Anna – 31 Octobre 2013 ©
Tags : La Malédiction d’Amaël, Heroic Fantasy, aventure, douleur, homme, horreur, mort, nuit, peur, religions, tragédie, NOUVELLE, Anna Logon