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* L'ENCRIER * « Le Carnet Noir »
(Photo personnelle)
Adrian von Ziegler - Part of the Pack
Dans ce caboulot remuglant la vieille morue et l’infecte guildive tel un cul-de-basse-fosse, le vieux brisquard lampait bruyamment son verre de vin, puis fourrageant sa barbe :
– « Ils ont attendu que disparaissent grand foc et artimon sur le fil blanc de l’horizon, là où se confondent le ciel et l’eau, pour s’en retourner à l’abri des hauts murs de pierre de leurs demeures. Ah si vous les aviez vus ! Tous y étaient ! De la cale d’Orléans à la tour Bidouane, du quai Saint-Sauveur jusqu’au Grand Bé... Tous au départ de notre fringante « Belle Arnemetia » jaugeant mille tonneaux, tout juste née des herminettes et des calfats de L’Orient. Ah elle avait fière allure drapée des meilleures toiles de Morlaix avec la noire hermine en pavillon !
– Vous faites le faraud tentant de m’abuser ? osais-je, écartant le mouchoir me protégeant le nez de son souffle putride.
– Monsieur ! Tous j’vous dis : armateurs ayant pris part à l’affaire rêvant de bonne fortune, épouses de matelots craintives d’être veuves trop tôt, vieux gabiers revenus vivants de Pondichéry, trois mères gémissantes pour leurs mousses de mouflets, Chevaliers ayant investi quelques piastres par contrat à la grosse aventure, Comtes de Bretagne... Tous, il n’en manquait pas un !
– Comment fut la traversée ? Quelques perfides rencontres ?
– Que nenni Monseigneur, pas la moindre toile ennemie, ni de flibuste... À croire que le bosco et le Capitaine étaient les seuls maîtres sur l’océan ! Pourtant la traversée a retourné plus d’une tripe sur le gaillard avant. Des creux de trente mètres puis des murs de quarante, les moussaillons étaient verts au milieu de la danse de sabbat. Les autres savants redevenaient croyants, priant que Pampultar n’aspire point leurs âmes dans un profond tumulus funéraire jusqu’au fond des noirs abîmes !
– Et enfin la terre ?
– Ouais cette putain de terre ! Il était temps de mettre en panne le charnier était vide ! Et sans eau douce, c’est la mort assurée... Après avoir cargué les misaines et coiffé les focs, le subrécargue a demandé de mettre les chaloupes à la mer pour passer la barrière de rouges récifs. On a fini par mettre le pied sur la bande de sable. Le Capitaine jurait qu’elle n’était sur aucune carte, les savants étaient déjà excités de mystérieuses découvertes !
– Et alors ? me direz-vous à la fin !! Ne me faites point languir... ces découvertes... »
Le lascar en était déjà au deuxième flacon de cette piquette infâme, et je ne savais toujours rien. Je dus me soumettre à en commander un troisième avant qu’il ne poursuivre...
– « Ah ça... des bestioles inconnues, et des fleurs géantes !
– Des fleurs géantes ?
– Oui Monsieur, qu’on y aurait mis la tête en entier à l’intérieur... Et le menhir surtout... »
Le brigand se taisait déjà, se versant à nouveau un gobelet... Je n’en pouvais plus, frappant la table d’un coup sec de mon poing :
– « Vous n’êtes qu’un tartufe et faites le fanfaron ! Des fleurs géantes à y loger la tête !! A-t-on déjà vu telle floraison ?
– Pourtant Monseigneur, j’en ai la preuve...
– La preuve ? Mais enfin de quoi parlez-vous ?
– Le carnet...
– Le carnet ?
– Oui le savant qui dessinait tout ce qu’il trouvait...
– Et bien...
– Et bien j’ai son carnet de dessins. Vous voulez le voir sans doute ?
– Évidemment !
– Ça vous coûtera au moins cent piastres... et un nouveau gorgeon...
– Oui oui soit ! Cent piastres et même deux gorgeons... Ce carnet, l’avez-vous de vers vous ?
– Oui Monseigneur... le voilà... »
Je feuilletais rapidement pour vérifier mon acquêt, payais ce vieux fou et m’éloignais au plus vite de ce lieu empuanti. Si le vieux grigou disait vrai, j’étais enfin en possession d’un inestimable trésor !
De retour chez moi, sans plus attendre les bienfaits d’une sommaire toilette, je délassais le cordon de cuir noir ceignant le carnet et l’ouvrais religieusement. Par quelle magie fus-je transporté dans un monde lointain ? Le vieil homme ne mentait point ! Des dessins colorés appuyaient les propos. D’abord, il s’agissait de descriptions précises de l’arrivée sur l’île, car s’en était une. L’absence apparente de toute vie humaine présente, d’un quelconque indigène tel déjà croisé à Surate ou dans la baie de Juana... Le naturaliste entreprend avec deux assistants d’explorer dès le lendemain. Traversant une forêt assez dense à grand coup de machette, il découvre alors des fleurs d’un rouge vif dépassant taille d’homme. De leur corolle haute perchée, un nectar en dégoulinait sur le sol, léché aussitôt par quelque sorte de souris kangourous à courte queue. J’allumais aussitôt de multiples chandelles pour mieux apprécier les reproductions et leurs annotations. La fleur géante, qu’il appelait « Radians Campilisse », avait des pétales d’un rouge flamboyant, dont une seule aurait dissimulé le corps d’un enfant. Assurément, la tête d’un homme aurait pu y rentrer à l’intérieur, si le liquide épais violacé qui s’en exsudait n’était pas si abondant. Puisque les animaux s’en nourrissaient, ils décidèrent d’y goûter. Il fut décrit comme une sorte de sirop très sucré, ils en firent des prélèvements.
Éberlué par telles révélations, je feuilletais à nouveau...
Plus loin, il était question de ces drôles d’animaux aussi gros qu’une souris, mais qu’il comparait aux rats-kangourous déjà décrits lors d’un de ses précédents voyages à King George Sound, à la différence près qu’ils étaient bleu plutôt foncé et leur queue plus courte. Il leur donna le nom de « Plimule Caeruleus ». Examinant le dessin, je jurai n’avoir vu telle bestiole de toute ma vie ! Une souris bleue avec de grandes pattes arrière, une queue courte et de petites oreilles rondes. Incroyable ! J’étais au pays des mille et une nuits...
Il avait donc été décidé de rester suffisamment sur l’île pour parfaire les observations. Les descriptions de leur campement étaient succinctes, en dehors du fait de disparitions mystérieuses de quelques denrées. Toujours la nuit. Ce faisait supputer à un vol, sans doute par un des marins descendu à terre. Il fallut plusieurs jours avant que le naturaliste sorti pour fumer le tabac d’une pipe découvrît le pot aux roses. Sans bruit, il vit de minuscules singes d’un jaune vif pour tous vils chapardeurs ! Il les nomma « Chapaloux » pour mieux souligner le vol et leur discrète arrivée, comme à pas de loup. Ces « Chapaloux » semblaient fort espiègles, et avaient un système de défense original. Pour éloigner les éventuels prédateurs et les humains curieux, ils lâchaient quelques vents pestilentiels de leurs postérieurs. Une pure infection d’après les commentaires...
Je fis une pause pour me désaltérer d’un de ces vins légers des côtes de Vair, gai danseur au fond du verre, donnant bonne humeur aux verbes forts en vers et laissant souvent les esprits à l’envers. Je n’avais toujours pas découvert l’essentiel. Je tournais les pages plus rapidement... Mais allons, il l’avait forcément trouvé ! Ah enfin... !
Je découvrais sur une page entière le noir dessin... Le « Stéolipe » ! Nos aventuriers l’avaient réellement découvert ! J’en bondis de mon siège, c’était merveilleux... Ce dessin escamotait la légende... Il existait bel et bien, mais n’avait pu être ramené sur nos terres de France étant donné son poids. La stèle était parfaitement représentée, avec ses dimensions, haute de trois mètres, taillée dans une pierre noire et brillante. Fort heureusement, les sculptures et les signes inconnus dont il était gravé avaient été soigneusement retranscrits par le naturaliste. La preuve était bien là sous mes yeux ébaubis, par ce carnet signé du naturaliste lui-même... Je tentais d’en déchiffrer le parafe... Un C accolé à un D... Il me fallait au plus vite atteler mon cheval et sans attendre rejoindre Paris ! Il fallait à nouveau affréter un navire et repartir là-bas !
Un nouvel univers s’offrait à mes yeux : le grand saut vers l’inconnu.
Et je serai du voyage !
Anna – Texte protégé par ©
Atelier d'écriture : Thème Les Nouveaux Explorateurs avec Utilisation de néologismes
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