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    * L'ENCRIER * « Lunaison »

     

     

     

    Drôle de jour argenté de lune, nappant le jardin,

    Dégoulinant des arbres et léchant la façade,

    Le silence laiteux glissait dans les persiennes.

    Il était nuit pourtant, et je ne dormais point.

     

    Enrobée de couverture, assise sur le banc,

    Je bus ce non-temps, oublié des vacarmes,

    Le regard éperdu dans le ciel endormi

    Il était nuit pourtant, et je ne rêvais pas.

     

    J’attendais les grands vents, ou le bruit de la brume.

    J’épiais les verts frissons, et la plainte animale,

    Les oreilles arrimées au plus petit sursaut.

    Il était nuit pourtant, et je n’espérais rien.

     

    Entre ombres et halo, sans humeur ni amer,

    Quiétude recouvrance, et limpide renaissance,

    L’esprit apaisé par cette clarté polaire.

    Il était nuit pourtant, et ne me hanterai plus.

     

     

     

    Anna - 29 Octobre 2015

     

     

     

     

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    * L'ENCRIER * « L’Horloge de Gédéon »

     

     

     

    Dans un angle du salon, Gédéon avait une comtoise. Après les domesticités dissonantes de la journée, il s’installait pour lire dans un large fauteuil. En face, le tic répondait au tac à intervalles réguliers, comme on rythme son pas sur les battements d’un cœur familier. Au soir, la lueur de la lampe copiait inlassablement le balancement du cuivre. Alors, sur les lames du plancher, le temps doré dessinait un arc de cercle proportionné. Il s’égrainait hypnotique en amples respirations, telles les ondulations d’un sein maternel où l’on pose la tête pour mieux s’endormir. Jusque-là, ce chant apaisait.

    Après un frugal dîner puis quelques ablutions, comme d’habitude, Gédéon se cala de deux coussins et reprit son livre. Il releva soudain les yeux vers l’horloge, il était presque minuit. Tic-tac... Malgré quelques coups ça et là, le meuble était encore d’une assez belle facture et les mécanismes toujours bien huilés. Pourtant, allez savoir pourquoi ce soir-là, la magie n’exerçait plus. Tic-tac enflait entre ses tempes, lui martelant la cervelle tel le bruit des bottes d’un défilé militaire. L’imperturbable couplet devenait insupportable, il n’avait que trop duré. Sans bouger ni frémir, la décision fut prise.

    Le lendemain, à midi, Gédéon saisit la clé ouvrant la porte vitrée. D’une main ferme, il captura le balancier et l’arrêta sans l’ombre d’une hésitation. La comtoise se tut. Plus de compte à rendre aux minutes ni aux heures. De nouveau, il s’était libéré ! Il en profita le soir même, et tous les jours suivants. Il s’enivra de rires et de farces nées rouges, comme un insecte bourdonnant dans les incandescences noctambules. Les hiers et les demains, plus rien n’avait d’importance.

     

    Gédéon redevenait le maître du temps. Les mois passèrent. La pause s’allongea suivant les courbes de son propre espace.

     

    Une nuit, le sommeil tardait à emporter Gédéon. Il réfléchissait. Il avait bien rempli sa vie. Tel un éternel adolescent, il s’était ri de tout. Se soûlant de chaque grain, surmontant le moindre affront, éparpillant au vent toute semence, se moquant des qu’en pensera-t-on, et se grisant à la chaleur de ses envies. Assis dans son lit, il eut, pourtant, une sorte de pincement. Le vieux contempla le vide boiteux accroché aux murs de la chambre. Le silence montait toujours du salon, il se faisait pesant. Gédéon s’était perdu dans les méandres de ses propres contre-addictions. Drôle de millésime que ces gorgées bues en vain.

     

    Quelques jours plus tard, Gédéon maugréait. Impossible, il ne l’avait pas jetée ! Forcément, elle ne pouvait être bien loin... Il avait retourné le moindre coin, il ne la trouvait plus. Qu’avait-il bien pu faire de la clé ? Sans elle, il ne saurait remettre le balancier en route. C’est que, désormais, le temps s’effilochait, il n’en avait guère devant lui. La porte vitrée ne cédait pas, elle réclamait sa clé. Après moult recherches, il remit la main dessus. Il pensait pouvoir, d’un petit geste, juste du bout des doigts, ranimer le mouvement. Il lui fallut plusieurs tentatives. Une fois le dîner et la toilette terminés, Gédéon prit place, avec un livre, entre les coussins. Il dressa soudain les oreilles en direction de l’horloge. L’harmonie semblait familière, pourtant... Tic-tac-tac... Tic-tac-tac... Le battement claudiquait. La pause silencieuse, devenue intemporel arrêt, avait déformé l’arc doré dessiné à ses pieds. La mesure s’était étirée, telle une chatte solitaire qui avait pris ses aises. Les notes de la gamme s’étaient distendues, les noires ne succédaient plus aux blanches en rythme régulier. Il se leva d’un coup. Dans le ventre de la comtoise, il passa la nuit à régler grammes et contrepoids. Tic-tac-tic... Tic-tac-tic... À nouveau penché sur le mécanisme, il ajusta les rouages. Nul besoin d’être horloger, pour savoir que l’on ne rattrape jamais le temps que l’on a perdu. Il crut devenir fou, s’apercevant que le chant d’hier faisait des faux. Il était grand temps... pour quelqu’un qui avait pris tout le sien. Puisqu’il en était ainsi, il se promit de céder la maudite à la prochaine brocante !

    Ce qui était dit fut fait. Au milieu de vieux livres et un tas de bric-à-brac, trônait l’horloge réprouvée. Un homme vint à chiner, et l’affaire fut rondement entendue... Il fallait préciser... l’individu, pianiste de jazz, avait l’oreille musicale.

     

    Pierre avait une comtoise, là... dans l’angle du salon.

    Tic-tic-tac ! Tic-tic-tac !

     

     

    Anna – 26 Août 2014 

     

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    * L'ENCRIER * « Premiers Frissons »

     

     

    Après la nuit sans lune calfatant tous les chants,

    Après le vent sournois s’en sifflant sous l’ardoise,

    Dans la froidure des matinées d’automne,

    Le brouillard, sourd, alourdira la haie,

    Dissipant de sa poisse l’horizon indécis.

     

    Le bocage dissous en voile gouttelettes,

    Tel un visage à l’ombre des moucharabiés,

    Renaîtra lentement au soleil refaisant surface.

    Alors, mille diamants étincelleront la plaine,

    Sans fin.

     

     

    Anna – « Petites Pages Castelvalériennes » - 9 Octobre 2015

     

     

     

     

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    L'ENCRIER * « Scrapbooking »

    René MAGRITTE - « Variation de la Victoire » - 1965 

     

     

     

    Arracher le jute occultant ces fenêtres de moi, dégrafer les planches amarrées à leurs sœurs. Filer en courant d’ailes, telle une fragrance avide d’oxygène. Les échardes ne renoncent pas aisément ; elles cicatriseront, pourtant, comme la peau de mes chagrins. Déserter les ombres de ce couloir empourpré, galerie aux pensées calcinées où se frôlaient vivants apathiques et morts s’ignorants. Abandonner son âme inquiète aux désenchanteurs fantômes. Avec sang-froid, laisser ces nuages de cendre virevolter dans le salon désert.

     

    Succomber à l’air du carreau manquant.

     

     

    Libre et gabare, emporter le meilleur et glisser sous le vent. Pour seule besace, la mémoire du cœur et oublier le reste. Plonger à mains nues dans l’inconnu, exulter les poussières de lumières qui dansent sur les tambours d’automne. Déterrer goulûment les feux de tous les prochains hivers. Réveiller l’arc-en-ciel des murs, et renaître chaque matin, tel un désir fou.

     

    Indomptablement.

     

     

     

     

     

    Anna – 6 Octobre 2015 

     

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