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    * L'ENCRIER * « Les Poupées ne parlent Jamais » (3/3)

     

     

           Les premiers rayons du soleil se levaient en rasant les toits et doucement me réchauffaient le dos. Je m’étais endormie sur une chaise de la cuisine. Je m’étirais longuement les pattes. Fis un petit tour du côté de l’antre. Calistro n’était plus là. Comment pouvait-il avoir quitté la maison sans me prévenir ? Je décidais de faire de même, et retrouvais Nora, assise devant sa maison comme d’habitude, sur les marches de la terrasse.

    -        « Tu es bien matinale, me dit-elle.

    -        Calistro s’est absenté. Il a dû aller à la bibliothèque. Alors j’en profite.

    -        Mickey chéri aussi est sorti... Il n’a pas dormi de la nuit. Une vraie pile électrique ! Et cela ne m’étonne pas...

    -        Pourquoi ?

    -        Voyons ! Nous sommes mi-août... La date approche !

    -        Tu crois qu’il va remettre ça ?

    -        L’assassin n’a jamais été découvert, pourquoi s’arrêterait-il en si bon chemin ? Mike est dans tous ses états !

    -        N’oublie pas que ton Mike n’a jamais rien retrouvé les victimes ! Pourquoi parler d’assassinat ?

    -        Après toutes ces années... je voudrais bien les croire encore vivantes.

    -        Connie Right, Joyce Mills, et la petite Téani Madiou...

    -        Aujourd’hui, elles auraient onze et douze ans, assez grandes pour réussir à s’enfuir !

    -        Faut-il encore en avoir la possibilité. Si elles sont vivantes, elles doivent être sans doute enfermées à triple tour !

    -        Et les quatre autres. Toujours des gamines... Tu crois qu’il aurait pu aussi les violer ? Si jeunes...

    -        Nora ! Comment veux-tu que je le sache ? Et rien ne dit que c’est un homme qui a fait le coup !

    -        Année après année... Une fillette disparaît tous les 2 septembre... Après Téani, c’était le tour de la petite Loren Smith de Gibson. Toutes volatilisées et aucune piste sérieuse...

    -        Puis Beverley Hamilton de Gibson elle aussi, Maimiti Johnson qui habitait Gray... Toujours dans le même secteur.

    -        L’année suivante, je me souviens encore de la petite Abigail Colombo. Sa petite frimousse aux joues rebondies. Toutes les unes de la région avaient publié sa photo sous le gros titre ‘’ Encore une ! Abigail 6 ans a disparu ! ‘’. Forcément, il y en aura une huitième... Mike n’en dort plus.

    -        J’avoue sept gamines en sept ans... Je me suis souvenu hier soir... C’est au moment de l’affaire Mills que l’on s’est rencontrée. Quand Calistro commençait à être dans le collimateur de la flicaille. À cause de la petite chaussure rouge, souviens-toi...

    -        Oh que oui ! Mike avait soliloqué, tournant en rond dans le salon toute la nuit ! Comment ce baveux a-t-il pu trouver un indice dans les hautes herbes et un an après en plus ! On l’avait déjà ratissé ce terrain, au peigne fin, des millions de fois ! À croire qu’il savait où chercher... Pff j’en ai entendu sur son compte à ton Calistro !

    -        Faut pas oublier non plus que les parents de Joye n’ont jamais reconnu cette chaussure ! Avoue-le franchement, Mike soupçonnait Calistro à cette période-là.

    -        C’est vrai. Le départ de sa femme et la séparation avec sa fille édélia  l’avaient secoué. Ton journaliste n’était pas au mieux mentalement depuis plusieurs années. Comme par hasard, deux ans avant...

    -        Aucun rapport ! Permets-moi de te rappeler... Les disparitions se déroulaient toujours le 2 septembre... et le départ de Patsy a eu lieu un 15 octobre... Rien à voir ! Les flics ont toujours le chic pour trouver des coïncidences là où ça les arrange ! Hein ? Quand on ne trouve rien... C’est pratique ! Ce qui a détruit le mariage de Calistro, c’est surtout le temps passé en investigations, à traîner dans les bouges à la recherche d’indices, à payer souvent de sa poche des indics. C’est tout ça qui lui a coûté sa femme et sa fille. Toi, tu as toujours été là, fidèle comme un petit toutou ! Ton Mike n’a jamais eu que toi. Il ne peut pas comprendre comment une femme ne peut supporter les nuits d’absence ! »

     

           Progressivement, le ton montait. Chacune sortait les griffes et les mots s’armaient de crocs pour défendre son homme. Nous nous quittions excédées, presque fâchées. Il était temps que je rentre, me calmer et faire patte de velours auprès de mon enquêteur égyptien.

     

           Depuis plusieurs années, Calistro sentait que le Times-Picayune le routait gentiment vers la porte de sortie. Ses papiers ne faisaient plus la une, malgré « l’Affaire ». Alors, il avait commencé à écrire une nouvelle. Une enquête dans le bayou reconstituée avec des bribes d’affaires qu’il avait suivies et toute sa solide connaissance sur les pratiques vaudou. S’enfermant des nuits et des jours dans son antre. D’après lui, un vrai régal. Quand j’y étais autorisée, j’étais à ses côtés, le soutenais câline. C’est à cette époque qu’il a découvert la liaison de Patsy avec un industriel du coton, dont j’ai oublié le nom. En revanche, je me souviens parfaitement de l’après-midi du 2 septembre. Calistro et moi sortions de l’antre pour grignoter un morceau à la cuisine. De grosses valises crânaient dans le vestibule. Patsy est apparue, en haut de l’escalier, cramponnant édélia par la main. « Je ne t’aime plus. Je pars » avait-elle simplement annoncé. Calistro était resté les bras ballant, hébété. En silence, l’Empire State Building venait de lui dégringoler sur la tête. Puis elles étaient parties. La Buick blanche cotonneuse de monsieur l’industriel les attendait au bout de l’allée. Soudain, c’était comme s’il réagissait seulement à l’onde de choc. Il est devenu comme fou en montant au premier étage. Sa colère balayait tout sur son passage. On aurait cru vingt tornades à la fois, et dans le coin, elles sont toujours frénétiques ! Alors, comme vingt, et pendant des heures ! Le couloir était ravagé, les chambres dévastées. Puis, il s’est calmé d’un seul coup. A froidement verrouillé toutes les portes. Définitivement. Quelle scène pathétique ! Depuis ce jour, il n’est jamais remonté au premier. Dans la maison, son espace se circonscrit à la cuisine, le hall d’entrée, le salon et son antre. Rien de plus. Là-haut n’existe plus. C’est à ce moment-là qu’il s’est accouplé des nuits entières avec « Noisette ». Le clavier surchauffait. La nouvelle était devenue un roman qu’il avait proposé à une maison d’édition. Il attendait depuis des mois. La réponse tardait, « Peut-être pas cette fois » m’avait-il dit. Le 31 août, un courrier lui annonça enfin la bonne nouvelle. Son manuscrit allait être publié. Il était revenu de la boîte aux lettres sautillant comme une puce !

     

           En cette huitième année qui aurait dû être à nouveau fatidique, aucune disparition ne faisait les gros titres du 3 septembre. Seul le Times-Picayune annonçait le décès de Mike C. Dexter, officier de police, et de sa chienne Nora qui avait péri à ses côtés dans l’incendie de sa maison. Les premières constatations concluaient à un tragique accident. Deux lignes retraçaient également le parcours glorieux de Nora dans la police. Son fameux flair savait détecter les pains de marijuana et de colombienne. Il avait permis l’arrestation de nombreux dealers dans la région. Mike l’avait recueillie lorsqu’elle fut écartée des opérations de terrain. Le sniff avait tué son odorat. Dans un encart, la rédaction félicitait Calistro Fuento pour la future publication de son premier roman.

     

           Moi, assise sur une des hautes branches d’un chêne du jardin, j’avais épié toute la nuit leur maison. J’ai entendu quelques codes et des adresses dans les grésillements de la radio. Fumant cigarette sur cigarette, Mickey chéri avait attendu en vain un nom, l’annonce d’une disparition sur les ondes courtes des collègues. Crispé face au poste, se mangeant les doigts. Comme impatient de la fatidique prédiction. Au matin, il fallait bien se rendre à l’évidence, aucune gamine ne s’était volatilisée dans les sorcelleries du bayou. Il devint comme fou. « C’est impossible, cela ne peut pas s’arrêter comme ça ! Une chaque année, c’est obligé ! Ce type me rend complètement dingue ! ». Alors, j’entendis les cris, les jappements de Nora, les bruits de verre brisé, des hurlements démentiels. M’approchant alors d’une des fenêtres du rez-de chaussée, je le voyais se déchaîner sur tout ce qui était à portée de main. Il délirait à voix haute. Au vue des cadavres jonchant un peu partout le parquet, les bouteilles de bourbon de la nuit n’avaient pas dilué sa rage. Il vociférait des mots devenus incompréhensibles. Table et chaises du salon étaient renversées, même la grande étagère exhibant ses trophées et les coupes de Nora avait basculé façade au sol. Une vieille lampe à pétrole s’écoulait en goutte à goutte de la commode au tapis. Soudain l’incendie, d’un coup, comme une torche géante. Longtemps... Je ne pouvais rien faire. Juste des heures à regarder. Les flammes ont fini par lécher l’auvent de bois courant sur la façade de la maison. Enfin le silence sonnant la fin du crépitement des braises rougeoyantes. Peu avant midi, malgré l’intervention des pompiers, il ne restait rien.

           Cela faisait trois jours que je n’étais pas rentrée. Calistro n’était pas là. Savait-il pour Mike ? Forcément, les maisons étaient voisines et les jardins s’accolaient. La calcination exhalait jusqu’ici. Dans l’antre de Calistro, je m’installais pour la première fois sur une haute planche agrippée aux rails du mur, entre des piles de livres. De là, je pouvais guetter son retour aisément. Il tardait, je m’assoupis. Soudain, il poussa vivement la porte du bureau.

           « C’est formidable ! Je reviens de la maison d’édition. J’ai signé mon contrat ! Yoouu houuu ! Avec ma prochaine enquête sur fond de trafic d’œuvres d’art égyptiennes, Caramelle !... C’est le prix Pulitzer qui nous attend ! »...

           « Caramelle ? Où es-tu donc ? ».

    Sa voix habituellement si calme et douce avait ampli la pièce comme un grand courant d’air entre deux fenêtres ouvertes et fait claquer violemment la porte. Je sursautais, renversant en un seul bond deux rangées de livres, qui firent chavirer plusieurs piles de dossiers, ceux-ci jouant au chamboule-tout sur des boîtes d’archives... Tout un fatras dégringolait dans un lourd bruit d’abandon, et j’avais failli partir avec !

    -        « Ah... Caramelle, ma belle... Te voilà enfin !

    -        Miaaouu, ronronnais-je. »

     

           Dans leur chute, plusieurs boîtes en carton s’étaient éventrées. Le contenu s’éparpillait sur le parquet. Du haut de mon perchoir, je détaillais le désordre. Une, deux... cinq... sept poupées gisaient inanimées sur le sol. Elles étaient sales, la face terreuse, leurs vêtements barbouillés d’un rouge noirci. Il manquait à chacune d’elles une épaisse mèche de cheveux. Une avait perdu un soulier, une petite chaussure de plastique rouge.

     

     

     

    Anna – 4 Juin 2014 ©

     

     

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    * L'ENCRIER * « Les Poupées ne parlent Jamais » (2/3)

     

     

           Je me faufilais doucement entre les haies qui délimitaient nos deux jardins et abandonnais Nora aux frasques trop souvent tapageuses de Mike. Il avait un bon fond, mais cette affaire irrésolue l’avait définitivement ruiné. Échec cuisant de fin de carrière. D’après Nora, ce dossier l’avait tellement obsédé, qu’il s’était payé une sacrée dépression dont il avait du mal à s’en défaire. Deux gars du FBI avaient débarqué. Le major Palmer avait promu un jeune gardon tout juste sorti frétillant de l’académy de police et décidé d’inscrire le vieux Mike sur la liste des remplaçants. Sur le banc de touche, le trop-plein d’alcool avait fini par lui solder son compte de neurones. Pourtant, il ne renonçait pas, s’accrochant toujours à ses notes, aux témoignages, aux indices... aux moindres courants d’air s’ils avaient pu lui donner le nom du coupable. En vain. Aujourd’hui le brillant lieutenant de la police de Bâton-Rouge n’était plus qu’une misérable loque. Même les femmes trompées ne lui confiaient plus de filature. Pour sûr, le kidnappeur n’avait aucun cheveu blanc à se faire ! Jamais je n’aurais avoué ces pensées à Nora. Tellement attachée à son Mike chéri comme elle l’appelait, et ses convictions étaient bien trop tranchées. Psychorigide en somme, mais au fond, je l’aimais bien...

     

           Après une petite balade dans le quartier, à mon tour, je me décidais de rentrer à la maison. Je trouvais Calistro dans son antre, plongé dans un des livres sur l’Égypte ancienne qu’il venait d’emprunter à la bibliothèque. Son bureau en était littéralement envahi. Les murs eux-mêmes se dissimulaient derrière des piles de paperasse, d’anciens blocs-notes, de vieux numéros du Times et combien d’années d’investigation ?... Cahin-caha, elles grimpaient poussiéreusement branlantes jusqu’au plafond ! Dans une odeur nauséabonde de tabac froid mélangée aux relents de reliquats de divers repas, Calistro prenait des notes, vautré dans son canapé difforme. Mon Calistro n’était pas un maniaque du ménage, et personne ne se serait avisé de toucher à quoi que ce soit dans son antre. Comme si chaque mouton de poussière était adoubé au rang d’animal sacré ! Quand il était en phase de documentation, il sortait peu. Les plus longs déplacements se résumaient à une lente translation du canapé à la table de travail où trônait sa vieille Remington Noiseless, qu’il avait surnommée « Noisette ».

     

     

           Il en était fier de sa machine à écrire ! Frappe silencieuse, cylindre de trente centimètres, cinq interlignes, réglage de l’impression des caractères en fonction de l’épaisseur du papier... Elle en avait connu des affaires elle aussi... Il l’avait achetée avec ses premières paies de pigiste. La nuit, il n’arrêtait pas d’écrire pour son propre compte. Alors un jour, il avait osé franchir la porte du bureau du rédacteur en chef en brandissant un papier sur une affaire de police en cours. Une sombre histoire de vengeance vaudou que « Fouine tôt » avait démêlée bien avant tout le monde. Linsey Fergusson projetait de se débarrasser de son John, époux bien-aimé aux comptes en banque replets, à coups d’aiguille réguliers à la naissance de la nuque d’une dagyde. Ni l’entourage ni le corps médical ne comprenaient l’origine du mal neutralisant progressivement le malheureux de la tête aux pieds. Linsey jouait parfaitement son rôle d’épouse effondrée. Sans la perspicacité de « Fouine tôt », la diabolique se relaxerait encore sur les plages aux eaux turquoise de New Providence... Aphasique, paralysé des membres, le regard azuréen évidé, le pauvre bougre, lui, se prélassait dans un fauteuil. À jamais logé, nourri et roulé dans un établissement spécialisé, où les infirmières lui faisaient, parait-il, déjà les yeux doux.

     

           Enchaînant les billets sur les dossiers judiciaires, la sagacité de Calistro lui avait valu ses heures de gloire. L’assassin aurait porté un caleçon rouge, que Calistro l’aurait glissé dans son article. Combien l’imaginaient tuyauté avec la maréchaussée ? Quand il regagnait la salle de rédaction avec sa mine décomposée de zombie tout droit émergée entre les racines de cyprès du bayou, d’autres le croyaient maquereauté avec quelques esprits Lwas ! Sinon, comment expliquer la richesse de ses informations ? À force, plus personne ne se posait vraiment de questions. C’était comme ça, « Fouine tôt » savait ouvrir l’œil sur les détails... et le bon !

     

           Ce soir, je m’installais à ses côtés sur les coussins de velours vert fané. Me frottais lascivement contre son bras droit. Aucune réaction de sa part, inutile d’insister. Je filais à la cuisine. Devant un bol de lait, je repensais à toute cette histoire.

     

           La première disparition du côté de Lockport, celle de Connie, était presque passée inaperçue. Les autorités avaient d’abord pensé à une fugue, supposition à laquelle les parents s’étaient révoltés. Comment une gamine d’à peine quatre ans pouvait faire une fugue ? Non, ils assuraient ne jamais l’avoir quitté des yeux ! Alors, la police avait envisagé la possibilité qu’un des parents dans un excès de violence... un geste malheureux... Mais pas d’indice, aucun corps. L’enfant semblait s’être volatilisée comme par magie. Et dans la région... le plus petit enchantement avait pignon sur rue. L’affaire en était restée là. Classée sans suite.

     

           Ce fut le tour de Joye. Une jolie blondinette de cinq ans qui habitait un peu plus au nord, dans la banlieue de Thibodaux. Le père menuisier, la mère vendeuse dans une parfumerie, un frère de deux ans son aîné. Une famille sans histoire n’offrant rien de plus pour se raccrocher. Aucune déviance apparente. L’atelier de menuiserie fouillé de fond en comble, les interrogatoires musclés et l’enquête de voisinage n’avaient rien donné de probant. Joye avait disparu, elle aussi, sans laisser la moindre trace. Ce qui avait aiguillonné la cervelle de la police, c’était la date de la disparition. Le 2 septembre... exactement un an après Connie, jour pour jour. Cela n’avait échappé à personne, et ne pouvait être le fruit du hasard. Le dossier « Connie Right » était immédiatement rouvert. De son côté, Calistro avait fait de même, il était retourné fouiner. Il avait questionné l’entourage, les habitants de Lockport, avait sillonné les environs dans tous les sens. À l’époque, la police avait sondé rapidement le lac, sans retrouver de corps. Malgré tout, Calistro en refit soigneusement le tour, inspectant le moindre fourré d’herbes hautes. C’est là qu’il l’avait trouvée ! De retour à Lockport, il avait téléphoné au major Palmer. Le soir, tout heureux, il me détaillait tous les événements qui avaient ponctué sa journée. Jusqu’à la grande découverte ! Un an après ! Je me souviens encore de ses yeux pétillants. Ils étaient... Je ne saurais dire, pas comme d’habitude en tout cas. C’était un regard bizarre, surexcité, comme électrisé de... oui, je crois que je pouvais dire... de plaisir. Il jubilait ! Tout ça pour une petite chaussure rouge... Je ne comprendrai donc jamais les hommes...

     

     

     

    À suivre ...

     

     

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    * L'ENCRIER * « Les Poupées ne parlent Jamais » (1/3)

     

     

           Cela faisait plus de deux heures que je les observais de loin, et la soirée était loin d’être terminée. Surtout quand l’air des premières nuits d’été flemmarde sous le bois du auvent courant sur l’avant de la maison et peine à rafraîchir. Il était là. Son front dégoulinait de l’excès d’épices du jambalaya au poulet engouffré pour le dîner, que les glaçons du bourbon n’arrivaient pas à étreindre. Mike balançait ses pensées dans un rocking-chair. Bien droite, assise devant lui sur la première marche, Nora restait silencieuse. C’était trop tard, je ne pourrai pas lui parler ce soir. Je connaissais bien Nora, et j’aimais venir discuter avec elle. Pour l’heure, je savais qu’elle ne ferait rien pouvant contrarier Mike. Je réessayerai une autre fois...

     

           Deux ou trois jours après, dans l’après-midi, je me glissais entre les haies de lauriers à l’arrière du jardin. Elle était là.

    -        « Salut Nora... Tu es seule ?

    -        Oh bonjour ! Suis tranquille, Mike dort à l’intérieur.

    -        Comment vas-tu ?

    -        Toujours mes douleurs au bas des reins, ça me fait tirer la patte... L’âge que veux-tu...

    -        Et Mike ?

    -        Invariablement taciturne.

    -        Toujours perclus par cette affaire ?

    -        Tu sais, je crois qu’elle lui bouffera jusqu’au dernier os à moelle. »

     

           Voilà presque six ans que Mike C. Dexter avait installé sa carcasse à Houma. Ancien flic de Bâton-Rouge, il bossait désormais comme privé. Au black, faute de licence. Mike prenait de temps en temps quelques mandats d’adultère qui lui permettaient de payer les factures en instance. Mais rien de bien palpitant... Non, ce qui lui bouffait la moelle, comme disait Nora, c’était l’Affaire... Celle que les journaleux écrivent dans les gros titres en majuscules bien grasses. Depuis, Mike s’était mué en gouffre silencieux, l’esprit coincé dans les goulots de maïs fermenté deux ans d’âge. Houma, c’était là où avait eu lieu la dernière disparition. Comme Nora, je les connaissais toutes, Maimiti, Beverley, Connie, Joye, Téani, Loren, Abigail. Sept profils, sept physiques, sept détresses égorgeant les parents, les soupçons, les fausses pistes, la date de leur disparition... chaque détail de cette enquête irrésolue. Sept ans d’investigation, une disparition par an, et un dossier quasiment vide.

    -        « Hier, il est retourné dans le bayou interroger une vielle animiste. Il est rentré très tard dans la nuit.

    -        Alors ?

    -        Bredouille, une fois de plus. Il reste pourtant convaincu qu’il faut creuser la piste des poupées.

    -        Les croyances vaudou ont la vie dure...

    -        Cette piste l’a surtout conduit dans les sombres méandres du bourbon.

    -        Et la police, des nouvelles ?

    -        Rien entendu. Mickey chéri n’a plus de contact avec ses anciens collègues.

    -        Peut-être qu’ils ont laissé tomber... faute de piste sérieuse...

    -        Impossible !

    -        Aucune trace ni indice...

    -        Il y a ces mèches de cheveux tout de même !

    -        C’est maigre.

    -        Pauvres gosses... Et toi ? Calistro n’a rien trouvé de nouveau ?

    -        Je crois qu’il ne cherche plus.

    -        Ah bon ?

    -        Il commence son deuxième roman, ça l’accapare beaucoup.

    -        Un roman policier ?

    -        Forcément...

    -        Et ça se déroule encore dans le bayou ?

    -        Non. J’ai cru deviner que l’histoire débutait au royaume des chats... En Égypte ! »

     

           Le vieux Calistro Fuento était aussi à la retraite. Il avait toujours habité la maison familiale. Ses grands-parents avaient passé illégalement le Rio Bravo et débarqué une nuit sur le sol américain. Ses parents avaient été naturalisés, travaillés comme des forcenés pour gagner une misère, économisant pour acheter cette petite baraque à Houma. Calistro était né américain, et il en était fier. À son tour, il avait bossé dur pour apprendre la langue sans aucun accent. Au fond de lui, il voulait être connu, reconnu, devenir quelqu’un. Au Times-Picayune de La Nouvelle-Orléans, il avait fini par se faire une place comme journaliste d’investigations. Cela n’avait pas toujours été facile. Il était toujours le premier sur les affaires criminelles. Fallait croire qu’il avait de bons indics. Au journal, tous le surnommaient « Fouine tôt ». C’est au moment de l’affaire « Joye Mills » que j’avais fait la connaissance de Mike.

    -        « Je me souviendrais toute ma vie quand les collègues de Mike ont débarqué à la maison ! Ils étaient persuadés que Calistro et Mike étaient complices. Mon Calistro est trop bon journaliste pour avoir recours aux tuyaux de la police ! Ils ont eu beau fouiller partout... Quel bazar après leur passage ! ... Mon dieu ! Quel bazar ! Tout ça pour ne rien trouver !

    -        De toute façon, Mickey n’aurait jamais divulgué la moindre information interne, tu le sais bien...

    -        Une sacrée affaire tout de même...

    -        Pas de corps... Que sont devenues ces pauvres petites... Cette histoire lamine complètement Mike.

    -        Et aucun indice !

    -        Quand même, tu oublies les mèches !

    -        Bien sûr que non... Après chaque disparition, le même rituel. Une enveloppe bleue adressée personnellement à Mike. À l’intérieur, un petit carton portant un numéro et une mèche agrafée... Je sais Nora... Je sais... Mais tu sembles oublier qu’il s’agit de cheveux de poupées ! Comment veux-tu relier tout ça ? Tu crois qu’ils font des recherches ADN sur des cheveux de poupées toi ?

    -        Quand même !... Une gamine... Une poupée... Y a forcément un lien... C’est évident ! Et ce n’est pas par hasard si chaque numéro correspond au nombre de fillettes disparues.

    -        Moi, je dis que cela ne prouve rien ! Pas de corps, pas de preuve ! Ils n’ont même pas retrouvé les poupées ! Qui te dit que ce ne sont pas les parents qui ont fait le coup ? Les flics avaient même eu un doute pour la troisième, il me semble... À quatre-vingt-dix pour cent, c’est un membre de la famille qui est en cause, tu le sais bien !

    -        Oui à Morgan City, pour Téani, ils pensaient que c’était le nouveau petit copain de sa mère qui avait fait le coup. Ils le soupçonnaient de ne plus supporter ni sa peau café brûlé ni ses caprices. Mais il n’explique pas à lui seul les six autres !

    -        Et il n’y avait pas eu aussi une piste avec... comment s’appelait-il déjà ?... Gordon... Ce pédophile qui habitait Gibson...

    -        Gordon Mc Allister...

    -        C’est ça ! Ce vieux pervers de Mc Allister... Ton Mike l’avait soupçonné pour Loren et Beverley, je crois. Toutes deux de Gibson comme lui ! Comme par hasard... Aux dernières nouvelles, il n’est toujours pas en taule ! Moi je dis que cela pourrait bien être lui.

    -        Mike n’a jamais eu la moindre preuve pour le maintenir en garde à vue. Son alibi était en béton. Et Palmer ne l’a pas soutenu sur ce coup-là... Tiens, je l’entends grommeler... Il se réveille... Je vais être obligée...

    -        Ah ? J’ai rien entendu...

    -        Nora, nom de dieu !! Où t’es encore barrée ? Rapplique à la maison vite fait !

    -        ... De rentrer... Je te laisse... »

     

     

     

    À suivre ...

     

     

     

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