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    * L'ENCRIER * « La Malédiction d’Amaël » 1/4

     

    Nox Arcana - Night of the Wolf

     

     

    Des profondeurs d’un si loin-temps qu’aucun n’aurait pu en donner un quelconque millésime, à l’âge des créatures maléfiques brûlant de sécheresse les cultures, noircissant les récoltes, essaimant peste et choléra, de féroces angoisses envahissaient les esprits chrétiens, attisées par les seigneurs de l’Inquisition...

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           Dans les profondes forêts de Waarkrovie, les hauts troncs se blottissent les uns contre les autres et les vents de Calcias y faufilent leurs voix lugubres, tels les gémissements d’obscures présences fouinant l’opacité. Le froid transperce les couennes, les brumes glacent tout sang humain osant y pénétrer. Les ombres ramières reines d’illusions nourrissent les peurs les plus oppressantes. Les parchemins interdits de théogonie faisaient de Waarkrovie un lieu de chaos, ultime refuge des esprits déchus.

           Solides gaillards aux bras puissants, au torse architectural, Amaël et ses quatre compagnons bucherons ne craignent ni râles envoûtants de Malhazard Fossoyeur des Ténèbres ni démons griffus ou volants. Ils se sont enfoncés dans les noires futaies, là où les arbres sont les plus vigoureux. Ils tireront un bon prix de leur labeur. Voilà deux jours qu’ils taillent avec force, étêtent les cimes, dégagent les branchages, les dépècent de leur terne écorce. Leur unique tracas se réduit aux traces d’urine et aux empreintes dans la neige d’une meute de loups aperçue la veille par Matifas. Les hommes étaient à la lisière de leur territoire. Giboin assurait qu’ils n’attaquaient pas l’homme, mais tous restaient sur leur garde. Lequel d’entre eux aurait pu jurer du fond de son âme l’absence de tout enchantement ? Chaque soir, un grand feu veillait sur le campement. Au matin, à nouveau herminettes et merlins portaient l’estocade sur les coins, les troncs s’affalaient dans de bruyants grondements. Deux chevaux tiraient les bois cerclés de lourdes chaînes. Il leur restait dix jours pour achever d’abattre la parcelle, et assurer une bonne bourse aux cinq foyers.

           Au troisième matin, Albaud avait disparu. Aucun cri, aucun hennissement, aucun vestige de lutte. Rien... Il s’était évanoui comme on souffle une bougie... Seul un sillon de sang présageait d’un sort funeste, réveillant d’archaïques terreurs où la croyance redevient loi. Ils l’appelèrent en vain... Giboin découvrit près des billes de bois une main et un morceau d’un bras figé dans la neige carminée, les doigts resserrés sur une tourne-bille. Il se pencha, la griffe était ensanglantée. Les compagnons cherchèrent aux alentours le reste du corps. C’était inutile, les traces s’arrêtaient là. Les regards inquiets se heurtaient en silence. Les loups menaçaient... Il fallait terminer et rentrer au plus vite.

           Seuls les coups de hache et les troncs qui se déchirent résonnaient dans la forêt. Flanqué d’une trompe taillée dans la corne d’un bouc, Fleuret faisait le guet assis sur une haute branche. Avec le couchant, les lumières se distendaient peuplant la forêt d’obscures chimères. Pendant deux nuits, le sommeil resta inaccessible. Les premières lueurs d'une aube si pâle leur brûlaient les yeux, les manches se faisaient plus lourds...

           Giboin s’était évaporé avant le sixième crépuscule dans un silence toujours mystérieux. Matifas trouva les carcasses de deux chevaux morts, un autre plus loin encore vivant la panse éviscérée. Matifas dut l’achever, lui pourfendant le crâne d’un coup de hache, laissant jaillir quelques morceaux de cervelle. Il fallait tout enterrer afin de n’attirer aucune férocité malveillante aux abords du campement. Si cela ne pouvait être l’œuvre des loups, quel sortilège tissait le cruel et l'invisible ? Quelles créatures démoniaques à la solde de Malhazard pouvaient disparaître en un éclair après cet infernal forfait ? Amaël décida que ce jour serait le dernier, aucun écu d’or ne méritait la mort d’un compagnon. Demain matin, ils partiraient de cette terre maudite, abandonnée du Divin. Dans une dernière hargne, les bras se firent plus meurtriers sur les troncs.

           À la tombée du jour, la faim avait poussé la meute attirée par l’odeur du sang et des putrides humeurs infiltrés dans la neige. La horde s’était approchée, tapie dans le sous-bois, attendant l’heure propice. Les hommes assis sur une pierre se réchauffaient d’une écuelle de pain trempé dans un infâme bouillon. À la lueur du brasier, leurs yeux épiaient l’ombre vacillante au-dessus de la flambée, les oreilles en alerte à chaque craquement. Ce répit fut leur dernier. Malgré la veille des hommes, les loups se jetèrent à la vitesse d’une flèche, plantant leurs gueules dans les chairs. Fleuret fut pris par surprise, entre deux monstres lui dévorant déjà le flanc, l’autre la gorge. Il fut condamné sans le temps d’esquisser le moindre geste de défense. Ses égorgeurs rejoignaient les autres dans leurs charges fatales. Matifas réussit à se dégager. Saisissant une sapie il fit front, croc contre crocs. Poussant de rauques hurlements, il les éloignait fouettant l’air de son crampon avec force. Il en tua deux, mais les fauves bondissaient vers lui en vagues incessantes. L’assaut des dents toujours plus sanguinaire que le dernier. Leurs gueules puissantes eurent le dernier mot, arrachant la moitié du visage de Matifas et lui vidant les tripes. Il n’en restait qu’un...

           Amaël affronta courageusement la meute, un par un, plantant crochets de tourne-bille, fendant les têtes et ouvrant les ventres à coups de hache. Une à une les bêtes maudites l’avaient meurtri. La lutte fut âpre, mais l’homme avait vaincu ces damnées. Chancelant, Amaël s’était réfugié près du feu, pansant ses bras en lambeaux de bandage de tissu arraché aux chemises de ses compagnons d’infortune. Il attendrait le jour pour fuir, surveillant les alentours recouverts de sang et de fragments de corps. La nuit n’en finissait pas sous l’astre ambré.

           Soudain, il apparut... Yorik, le Saigneur Pourpre du néant, le plus fort et le plus puissant loup qu’il n’avait jamais vu, telle une montagne de muscles. Jusqu’alors, Amaël croyait que ce thérien des steppes, solitaire, à la tête massive, au terrible poitrail n’était qu’une légende. Il se dressait bien là, devant lui haussé sur ses pattes arrière, debout comme un homme. Yorik s’approchait les crocs scintillants sous des babines d’écume. Plus les lunes passaient plus le fauve se renforçait de monstruosité. Amaël se releva, et lança l’assaut le premier. Aucun ne pourrait dire qu’il fût mort sans combattre... La bête surprise réagit en un éclair lacérant le torse d’Amaël de ses griffes aiguisées telles des lames, lui arrachant en un geste quartier de viande et rugissements de douleur. L’affrontement était rude, mais pas perdu d’avance. À force de courage et d’une hargne devenue sauvage, Amaël devenait plus féroce que le fauve. La lune n’était pas encore à son solstice d’hiver qu’Yorik faisait face à Amaël avec toute sa puissance. Bientôt, la lune serait au plus proche de la terre, et rien ni personne ne pourrait arrêter cette créature satanique. Seul celui qui avait un cœur pur pouvait tuer Yorik.

           Amaël ne se battait plus pour sa vie, il voulait tuer la bête les yeux dans les yeux. L’odeur du sang amplifiait sa fureur, comme si, déjà, toute humanité le quittait. Les cœurs d’Yorik et d’Amaël étaient emplis d'une même barbarie. Au matin, Yorik avait fui pour moitié mort, laissant Amaël la gorge à demi ouverte, ses plaies du corps béantes. Il s’était longtemps traîné, rampant dans les broussailles pour sortir de l'enfer. À bout de forces, avait fini dans le fossé du chemin.

     

           Une caravane était passée, Galia l’avait ramassé...

     

    .../...

     

     

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    * L'ENCRIER * « Manhattan Melody »

     

    « Manhattan Melody », regards croisés sur une rencontre,

    entre un homme et une femme,

    une écriture cinématographique.

     

     

    Un texte mis en voix par Tippi et Java. Merci à tous les deux.

    Une exclusivité sur TippiRod votre Écho

     

    site TippiRod votre Echo

    (Cliquer sur l’image ci-dessus pour accéder au texte)

     

     

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    * L'ENCRIER * « Réverbération »

     

     

    Au soir d’une faible lueur de la lampe, un regard.

     

    Dans cette pénombre accusant les traits, on eut cru se dresser un visage inconnu, aux cernes charbonnés, tel un fantôme sorti droit et muet des bobines d’Abel Gance. Des yeux clairs et froids, de bleus glaçons flottant sur des joues immobiles, me regardent. À mon tour, le contemple, scrute ce spectre au teint crayeux. Commença alors un étonnant dialogue, inaudible, entre esprits.

    -         « Qui es-tu ? Un spectre revenant d’entre les morts ?

    -         Pour être revenant, il faut être parti. Je suis d’un univers parallèle.

    -         Pourquoi apparaître aujourd’hui ?

    -         Il y a longtemps que tu ne me vois pas, pourtant j’étais déjà à tes côtés.

    -         À mes côtés ? Dans quel but ? Pour quel message ?

    -  Ne sens-tu pas les corbeaux accrochés aux cimes de l’augure ? N’entends-tu pas les nuages se bouffir d’encre sombre ?

    -        

    -         Tu ne réponds rien ?... Observe mieux, dis-moi ce que tu vois ?

    -  Un visage délavé au teint cireux, des joues excavées en papier mâché, dénudées de sourire.

    -         Et autour ?

    -        Une oreille sourde aux chants des cigales, une bouche qui n’a plus soif. Un bras affaibli et sans force d’étreindre, une main qui ne sait plus la douceur des caresses. Un corps lézardé en lambeaux, un ventre creux qui n’a plus faim.

    -         Et encore ?

    -   Un regard desséché dans l’absence d’horizon. Un cœur qui ne bat que d’une aile. Une carcasse rongée désormais dévaluée. Un esprit tourmenté qui ne craint plus la nuit.

    -        Et au-delà ? »

    L’échange fut taiseux, interminable, pupilles contre pupilles. Immersion dans les tréfonds de l’ombre.

    -       « Je sais qui tu es. »

     

    Miroir, ô mon miroir, reflet vivant du cadavre d'un corps qui se dégoûte. 

     

     

     

    Anna – 17 Novembre 2014 ©

     

     

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    * HUMEUR * Underground

     

    Taire pour ne plus faire mal

    Enterrer ses pages cachets

    S'écraser incandescente

    Aux cendriers des maux

    Pour le reste, faire l'autruche

    La plume aux vents incertains.

     

     

     

    Anna – « Pensées » - 6 Novembre 2014

     

     

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    * L'ENCRIER * « L’Abandon »

     

     

    Le soleil rubescent fondait tendrement sur les courbes vallons, se feutrant au creux émeraude des sapins. Sérénité du crépuscule. Un couple de gerfauts s’élevait, en aubade grivoise, dans le ciel coloré s’apaisant enfin des chaleurs estivales. Lentement, les ombres prenaient leur aise sur les hauteurs du lac. Le jour, comme hier, avait été joyeux, nourri d’éclats de vie essaimés çà et là, au milieu des photos de vacances.

     

    Il leur fallait rentrer. Plier la couverture couchée lascivement sur l’herbe, ranger l’osier joli à l’écho vide du soir dans le coffre de voiture. Les tomates furent juteuses, les casse-croûtes savoureux. Clic-clac, derniers selfies. Jeux insouciants d’enfants, leur ultime supplique avant des heures velours, somnolées à l’arrière des banquettes.

    Le ballon avait roulé.

    Les innocents mutins avaient suivi l’espiègle en contrebas du talus, s’étaient même griffé les bras aux épineux buissons. Les rires cessèrent d’un coup, stupéfiés, les souffles restèrent béants. Dans le silence, « Les garçons, on y va ! »... Une inquiétude, « Les garçons ? Où êtes-vous ? »

     

    La sphère avait fini sa course, butant au pied de godillots pour moitié délacés, découvrant des chaussettes de laine emmêlée de brins d’herbes sèches. Au bout, il y avait un corps. Le bourdonnement des mouches, l’odeur pestilentielle leur avaient clos le bec.

    L’homme, couché sur le flanc, était recroquevillé en boule. Un vieux chien sans collier pelotonné dans son blouson de mites, comme s’il s’était comprimé à l’intérieur d’un lui-même sans vie. Autour, il n’y avait rien, ou tellement peu. La toile à demi éventrée d’une tente décrépie, à peine au-dessus de sa tête et des épaules. Des livres aux coins usés mille fois du même doigt. Deux photos jaunies en guise de marque-page. Un téléphone portable du siècle dernier, exténué, lui aussi, de toute énergie. Un réchaud bleu sans âge, une cuillère cabossée, une gamelle démanchée, un reste de lentilles avariées.

    Depuis combien de temps ?

     

     

     

     

    La scientifique bleusaille avait fait son ouvrage, sans la moindre amertume. Routinier. Clic-Clac, photographies de la scène, sous tous les angles, prélèvements, relevé d’indices, recherche d’identité, enquête de voisinage... Mais de qui parlaient-ils, là au milieu d’un vide tout juste peuplé de quelques fantômes ? Pire, s’il y en avait eu, sans doute étaient-ils définitivement morts, emballés dans le sac mortuaire avec le pauvre bougre. Ziiiip !

    À une dizaine de kilomètres, la buraliste le voyait épisodiquement pour un pot de tabac, du papier à rouler. La dernière fois c’était... elle ne savait le dire. Au bar aussi, le patron se souvenait de cette barbe hirsute. Pour sûr, qu’il buvait des bons coups, sacrebleu et plutôt quatre fois qu’une. Le zinc le soutenait plus souvent que ses jambes. À se demander comment le lascar pouvait rentrer chez lui. Et il habitait où... Bin là, en effet, la question était bonne mais... La caissière de la supérette se rappelait des deux petites boîtes de saucisses aux lentilles et de quelques bouteilles. Du vin oui, mais toujours des fins cépages. Ah si, une fois, ils en avaient parlé... enfin juste un peu. Du vin justement, oui, quelqu’un lui avait appris... Marié ? Non, elle ne le pensait pas. Pour le moins, elle n’avait jamais vu de femme avec lui. Un enfant, oui peut-être, elle n’en était pas sûre...

     

    La seule chose que le légiste avait pu ranimer, ce fut le portable. Le dernier appel remontait à plusieurs années et le répertoire succinct se réduisait à trois numéros. La flicaille chercha à les joindre, un n’était plus attribué. L’ancien numéro d’un toubib, en psychiatrie semblait-il, qui depuis avait pris sa retraite. Une voix d’homme mûr décrocha au second. Il connaissait bien l’individu pour être de sa famille. Son élocution ne trembla pas, il demanda l’adresse de la morgue et précisa qu’il arriverait le lendemain soir pour les formalités. Le troisième coup de fil fut planté tel un coup de grâce, que l’on eut cru passé au service des homicides. La femme écoutait en interminables sanglots les détails sordidement déballés par l’agent stagiaire. Sans attendre, elle venait sur le champ.

     

    Sur la route, la nuit engloutissait tout. Voiture, ciel et asphalte avaient la même odeur. Celle qui ravive les tardifs regrets. Cabocharde, elle pensait se protéger, mettre à l’abri son âme, prête à toutes folies pour cet oiseau blessé aux ailes. Il s’était éloigné, elle l’avait regardé partir. Le mutisme avait pris sa place. Les mains sur le volant, la tête feuilletant les albums de sa mémoire. Clichés intacts, tous gravés. Surtout ce soir-là... Le dernier, le plus terrible. Pour la voir, il s’était traîné, éculé comme une vieille paire de galoches, tenant à peine debout. Il avait frappé à sa porte, à deux reprises. Ils seraient toujours là, l’un pour l’autre. Quelles que soient les tempêtes, ils se l’étaient promis. Elle n’ouvrit à aucune, paralysant le glacial de ses larmes en insondable banquise. Lui, s’était évaporé, n’avait plus donné signe, contraint d’accepter l’amputation. Ils s'étaient perdus.

     

     

    * L'ENCRIER * « L’Abandon »

     

    Elle le retrouvait là, à l’ouverture du tiroir numéro 17. Comme il avait maigri. L’azur s’était tu. La barbe toujours douce sous ses doigts. Les lèvres fragiles tout autant que le cœur. La froideur de l’inox lui transperçait les os, les mains étaient gelées. Malgré tout ses baisers, le souffle chaud de sa bouche n’y pouvait désormais rien. Poussé dans le néant, l’oiseau libre était tombé du nid. Le préposé repoussa le compartiment, le frigo finit de l’emmurer. Le flic l’avait raccompagnée jusqu’à son véhicule, et laissée sur un parking désert.

     

    Au-delà de sa douleur, elle ne lui survivrait pas. Elle s’était enivrée, souvenirs au goulot. Avant une dernière folie. Avec lui ou sans elle.

    Pourquoi n’avait-elle pas...

     

     

     

    Anna – 4 Novembre 2014 ©

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